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vigilante et douce. Si quelque bûcheron ou quelque ouvrier des carrières se blessait en travaillant, elle était la première à porter la charpie et le linge nécessaires au pansement, la plus prompte et la plus adroite à le soigner. Il y avait toujours dans la maison, grâce à elle, un gros morceau de pain, une tranche de jambon et quelque menue monnaie pour l’étudiant qui passe faisant le tour de la Forêt-Noire, ou le pauvre qui tend la main. On l’aimait dans tout le canton, on lui reprochait seulement de ne jamais rire. Salomé faisait tout silencieusement, son travail de chaque jour et le bien. On savait qu’elle regrettait sa mère et une petite sœur morte entre ses bras ; on ne savait pas si elle désirait quelque chose. L’ouvrage terminé, quand le temps le permettait, Salomé avait coutume chaque jour de se promener dans la montagne. Elle en connaissait tous les sentiers, mais elle avait des coins de prédilection vers lesquels elle dirigeait presque toujours ses pas. Souvent elle avait un livre à la main. On la voyait, à travers les arbres, passer lentement, recueillie dans une pensée intérieure qui jetait de nouvelles ombres sur son front. Les étrangers, les touristes se retournaient pour la regarder, saisis d’un sentiment où la surprise se mêlait au respect ; les jeunes gens de l’endroit la saluaient sans s’arrêter. Salomé restait de longues heures assise au pied d’un arbre dans les bruyères, sur des hauteurs d’où sa vue perçait l’horizon, ou blottie à l’ombre d’un rocher, dans un ravin, attentive et les mains sur les genoux. Quelquefois elle lisait, et le passage d’un troupeau de bœufs ne l’aurait pas tirée de sa lecture ; quelquefois elle avait les yeux perdus dans un brin d’herbe, et rien avant le soir ne l’arrachait à sa rêverie. Alors elle rentrait au logis plus pâle encore malgré la marche et le grand air, mais sereine et prête à tous les humbles devoirs d’une ménagère. Les enfans l’aimaient et seuls osaient l’aborder.

Comment Rodolphe, qui n’appartenait pas à la famille et n’était pas du pays, avait-il pénétré dans cet intérieur sévère et l’y voyait-on déjà depuis quelques semaines ? C’est ce qu’un hasard avait voulu.

Jacob ne le connaissait pas, Salomé ne l’avait jamais vu. Un jour que Rodolphe chassait dans la Forêt-Noire, le brouillard l’avait surpris ; au milieu de ces masses épaisses de vapeur que le vent roulait au travers de la montagne, il n’avait pas tardé à perdre son chemin. Le soir était venu ; la fatigue commençait à se faire sentir, quand il s’arrêtait, le froid le saisissait. Chaque pas lui faisait rencontrer de nouveaux sapins. Il savait qu’il n’y a point d’hôtes dangereux à redouter dans la forêt ; mais la perspective d’une nuit à passer dans cette humidité glaciale ne laissait pas de l’inquiéter. Comme il désespérait d’atteindre une habitation et cherchait déjà l’abri d’un rocher sous lequel il pût s’étendre, il entendit un bruit de pas sur les cailloux.