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Rodolphe appela. Une voix lui répondit, et un homme précédé d’un chien s’approcha de lui à grandes enjambées : c’était Jacob, qui regagnait la Herrenwiese après une tournée dans les bois. La présence du garde, sa parole ferme, l’espoir d’un gîte prochain, tout rendit au chasseur la force qui lui manquait. Il suivit résolument son guide. Si sombre qu’elle fût, la forêt n’avait pas de mystères pour Jacob. Un arbre d’une forme particulière, une pierre, un pan de mousse, un ruisseau, une croix, un vieux tronc renversé, étaient autant de signes auxquels Jacob reconnaissait l’étroit sentier couvert des ombres du brouillard. Le chien, qui répondait au nom d’Hector, marchait devant eux, bondissant sur les pistes, disparaissant sous le couvert impénétrable des sapins et reparaissant tout à coup joyeux, agile et la queue au vent. Au bout d’une heure, on entendit au fond de la brume errante le son d’une cloche ; bientôt après, une lumière rougeâtre, élargie par la vapeur qui ondulait sur le plateau, perça la nuit. — Nous y voici, dit Jacob. Quelques pas encore les amenèrent devant la porte d’une vaste maison qui s’était ouverte aux aboiemens d’Hector. Une jeune fille était sur le seuil, tenant une lampe de la main gauche, et de l’autre couvrant son front pour mieux voir dans l’obscurité. Elle était petite, immobile et grave, avec quelque chose en elle d’harmonieusement triste, intelligent et doux qu’on n’est pas accoutumé à voir parmi les filles de la campagne. Entrevue à cette clarté douteuse, elle semblait jolie. Examinée à loisir et en pleine lumière, elle était mieux que cela. Les traits du visage étaient fins, l’expression surtout en était remarquable. Elle avait le regard droit, ferme et clair. Jamais bouche plus sérieuse ne fut plus aimable. Il sembla à Rodolphe qu’il avait déjà vu cette figure jeune et calme. Son souvenir ne lui en disait pas davantage. Comme il la regardait, Salomé se rangea pour lui laisser le passage libre, et la voix mâle du garde lui dit d’entrer.

— Tu es chez Jacob Royal, reprit son guide, et, lui montrant un siège près du poêle, il l’invita à s’asseoir.

Il se trouva justement que Rodolphe avait dans sa poche une lettre que le grand-veneur de la cour de Bade lui avait donnée pour le forestier de la Herrenwiese, où il avait l’intention de passer deux ou trois jours à chasser le cerf. Il la tira de son portefeuille et la présenta à Jacob, qui se leva pour la recevoir et la lut tête nue. — Tu étais mon hôte, à présent tu es chez toi, reprit-il.

Un moment après, on vint les prévenir que le souper les attendait, et Rodolphe s’assit à table à la place d’honneur, à côté de Jacob et en face de Salomé.

Pendant la nuit, il eut un accès de fièvre causé par la fatigue et le refroidissement. Un peu de délire le prit au matin. Quand il revint à