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Et puis, nous en France, que pouvons-nous répondre aux Italiens, qui nous tiennent à peu près ce langage par l’organe de M. le professeur Giorgini de Florence ? « La France, dit-on, est un pays catholique. Si grand que soit l’intérêt que lui inspire la cause de l’indépendance italienne, elle ne peut souffrir que les droits du saint-siège soient méconnus… Si la France est catholique, si tout ce qui afflige le saint-père l’afflige, qu’elle nous donne donc l’exemple de cette déférence, de cette soumission filiale qu’elle exige de nous !… La France a des lois organiques qui sont contre le droit canonique, qui lèsent la liberté de l’église. Napoléon les fit approuver par son corps législatif ; malgré toutes les protestations de Rome, elles subsistent encore : abolissez les lois organiques. — La France possède Avignon. Le pape avait à la possession d’Avignon des titres non moins clairs, non moins valides que ceux qu’il revendique sur les légations ; le cardinal Consalvi protesta au congrès de Vienne contre l’annexion de cette ville à l’a France : restituez Avignon… Quand ces actes seront accomplis, venez alors nous parler de nos devoirs ; mais tant qu’il y aura une doctrine des droits du pape faite exprès pour l’Italie, ne vous étonnez pas si l’Italie écoute peu vos conseils, ou, pour mieux dire, si elle cherche ailleurs que dans l’Univers l’expression de la pensée et de la volonté de la France… » Et réellement, quand on se place au point de vue du droit traditionnel, du principe absolu de la légitimité, ainsi que le fait M. Villemain dans sa brochure, il n’y a rien à répondre à l’étrange revendication de la ville d’Avignon que nous adresse M. Giorgini au nom du pape. Le droit est, ou il n’est pas. L’assemblée constituante n’avait pas plus la légitimité pour elle en annexant le pays venaissin à la France que les légations en se proclamant indépendantes. Et ici, on peut le remarquer, M. de Montalembert se montre plus libéral que M. Villemain, car il fait une plus grande part au principe de la souveraineté nationale ; seulement M. de Montalembert veut que la souveraineté nationale ait raison dans ces hautes et exceptionnelles manifestations par lesquelles elle s’atteste. Nous n’en disconvenons pas ; mais il reste à savoir si les Romagnols, qui ont vécu pendant plus de vingt-cinq ans depuis 1815 sous le joug de l’Autriche, ont tort de vouloir être Italiens, et si ce sont des démagogues parce qu’ils portent une force de plus dans une monarchie qui, dans la pensée de tous, est destinée à défendre l’indépendance commune.

Il faut revenir à la réalité. Une chose est certaine : à côté du droit traditionnel du saint-siège, qui a pour lui le prestige de l’ancienneté, mais qui, au point de vue diplomatique, n’a d’autre consécration que les traités de 1815, il s’est élevé un autre droit, celui de la souveraineté nationale, qui s’appuie aujourd’hui sur le fait accompli de la séparation de la Romagne. Dès que la pensée d’une intervention par la force est écartée, et elle doit l’être, à notre sens, dans l’intérêt du catholicisme autant que dans l’intérêt libéral, que reste-t-il à faire pour l’Europe, si ce n’est à travailler à la coordination la plus favorable de toutes ces situations irrégulières qui se sont produites en Italie sous l’impulsion du sentiment national bien plus que d’une idée de révolution ? « L’Europe, dit M. Villemain, a depuis trois quarts de siècle épuisé bien des combinaisons de la force et du hasard ;… mais elle n’est pas arrivée à une conclusion qui doive se résumer ainsi : là où une