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Mme DE MARÇAY



Le rivage le plus riant ne peut réussir à enlever à la mer ce caractère de monotonie et de grandeur qui ne permet pas de la regarder longtemps sans être assailli de tristes pensées. Nous étions sortis presque gais, mon vieil ami M. d’Hersent et moi, pour faire notre promenade du soir sur une des plus jolies plages de la Normandie ; mais bientôt, dociles à la même impression et sans avoir besoin de nous la communiquer, nous nous étions écartés de la foule des promeneurs pour aller nous asseoir sur des rochers que la marée basse laissait à découvert, et d’où nous pouvions voir chaque flot venir à son tour expirer en murmurant sur le sable. Après nous être laissé quelque temps bercer par ce bruit mélancolique, nous en vînmes à échanger nos pensées, et nous nous aperçûmes sans trop de surprise que notre esprit avait suivi le même chemin. Nous songions tous deux à l’immensité de l’univers, à la fatalité de ses lois, au peu de place qu’y occupent nos destinées particulières, au néant de nos douleurs et de nos joies, au profond mystère dans lequel nous vivons enveloppés.

— Que de fois, me disait mon vieil ami, les poètes ont comparé notre existence à ces flots un moment soulevés sur la mer pour être aussitôt brisés sur la plage, et combien ils ont eu raison ! Un peu plus ou un peu moins de hauteur, quelques secondes de plus ou de moins de durée, quelques flocons de plus ou de moins dans leur frange d’écume, voilà tout ce qui les distingue les uns des autres, et pendant un seul instant, car ils sont bientôt égaux dans le néant. Que ne nous est-il donné de passer comme eux, sans jouir et sans souffrir, sans nous envier les uns les autres, sans nous débattre avec