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Il repartit donc sur-le-champ, et la fortune, qui allait l’accabler d’un dernier coup, lui accorda encore quelques beaux jours. Soit que Mme de Marçay se sentît émue d’une passion si opiniâtre et si profonde, soit qu’elle fût prise pour lui de pitié en songeant à l’avenir, elle l’accueillit cette fois avec une véritable tendresse. Je puis vous parler avec une entière franchise de ces derniers jours de leur intimité, puisque tous deux ne sont plus, et que l’histoire vraie de cette passion vous intéresse. Mme de Marçay n’avait jamais été avec lui si enjouée, si affectueuse, si confiante; elle le raillait et le flattait tour à tour. — Je vous déteste, — lui disait-elle en riant, et elle s’appuyait sur lui avec langueur. Elle avait cessé de se fâcher ou de le fuir quand il approchait ses lèvres de son front, de ses cheveux, de son cou. Ces détails vous font sourire, et vous vous demandez sans doute pourquoi Ferni s’arrêtait si docilement. Vous ne savez pas à quel point l’âme de mon ami s’était pliée à cette servitude, comme il tremblait de perdre cette femme en un instant et pour toujours, que de fois il était déjà retombé d’illusions presque aussi douces. Il ne se sentait plus à l’épreuve d’une chute pareille, et dans l’agitation suprême où était son âme, il avait le pressentiment qu’être repoussé cette fois, c’était périr. Il arriva ainsi, enivré d’amour, de crainte et d’espérance, jusqu’au jour qui devait mettre une fin violente à sa longue épreuve.

C’était un jour d’orage, et tous deux s’étaient sentis en même temps accablés et irrités par cette lourde atmosphère. Sur le soir, le ciel étant couvert de nuages, un vent «assez fort se leva, et l’on entendit au loin le bruit du tonnerre. Mme de Marçay proposa une promenade en voiture; on fit atteler, et ils partirent. A peine étaient-ils en route, que Ferni voulut attirer Mme de Marçay près de lui. — Laissez-moi, dit-elle, j’ai reçu aujourd’hui une potion calmante.

— Une lettre de lui? dit-il avec anxiété. Donnez-la-moi, je vous en prie.

— Vous le voulez vraiment? La voici. — Et elle lui tendit la lettre.

Ferni prit cette lettre et se mit à la lire. Il était assis dans le fond de la voiture, elle était en face de lui, et elle le regardait. Le jour tombait rapidement ; à travers les nuages chargés d’électricité passait encore un peu de lumière de couleur livide. Ferni lisait avec peine, mais il déchiffrait tout, parce qu’il voulait tout lire, et ces banales formules de l’amour satisfait prenaient à ses yeux un intérêt extra- ordinaire. Quand il eut fini, il tendit la lettre à Mme de Marçay. — Elle est fort tendre, lui dit-il, et il paraît fort joyeux de son prochain retour; cependant je crois qu’une autre femme que vous fe-