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rait aussi bien son affaire, tandis qu’il n’y a pour moi que vous au monde.

— Voilà une parole injuste, et vous n’en savez rien.

— Il est vrai que je n’en suis pas bon juge, répondit Ferni. — Et, s’enfonçant dans un coin de la voiture, il garda le silence. Un instant après, Mme de Marçay s’aperçut qu’il pleurait; elle vint s’asseoir près de lui et lui prit la main. — Du courage, disait-elle, soyez calmé.

Mais sa douleur, un moment contenue, éclatait enfin en mouvemens convulsifs et en larmes abondantes. — Que vais-je devenir? murmura-t-il; tout est fini. Non-seulement je n’espère plus rien, mais je perds tout au monde. Il va revenir, et je ne vous verrai plus.

— Vous me verrez toujours, interrompit-elle.

— Jamais! continua-t-il, et même aurai-je la force de l’attendre? fatale habitude de tout vous demander, de tout vous dire, de penser et de respirer à vos pieds! Il me semble qu’il n’y a plus personne sur la terre.

— Vous ne me quitterez pas.

— Ah! l’affreuse solitude; je me vois moi-même comme un enfant qu’on arrache avant le temps du sein de sa mère et qu’on jette sur la route aux pieds des passans. Qui va me parler, me consoler? qui puis-je écouter et souffrir? qui me grondera, me louera doucement? qui me donnera de chers petits conseils comme les vôtres?

— Moi ! toujours moi ! disait-elle en lui pressant les mains ; mais il l’entendait à peine et continuait d’une voix brisée par les pleurs : — Languirai-je seul ou chercherai-je inutilement quelque femme qui vous ressemble? Où est-elle, la créature que je ferai semblant d’aimer? — Et il prononçait obstinément certains noms qui les faisaient sourire tous deux au milieu des larmes; mais il retombait aussitôt dans son désespoir, attirait Mme de Marçay avec rage, puis l’écartait de lui brusquement, la saisissait encore et paraissait sur le point d’expirer de douleur à ses côtés. Les éclairs jetaient à chaque moment une vive lueur sur leurs visages émus, et les sanglots de Ferni étaient sans cesse couverts par les éclats de la foudre. Ils arrivèrent ainsi au bord de la mer, où ils quittèrent la voiture et allèrent s’asseoir auprès de quelques personnes de leur connaissance, attirées en ce lieu par la sombre beauté de cet orage. Ferni trouvait ce spectacle en harmonie avec l’état de son cœur et prenait un amer plaisir à le contempler. La mer était couverte d’un voile obscur, et l’on ne pouvait la distinguer du ciel; mais d’éblouissans éclairs déchiraient par instans les nues et inondaient d’une rapide lumière la vaste étendue des flots. L’on entendait presque en même temps le grondement du tonnerre, puis tout rentrait dans l’obscurité, et l’on