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ment avec la notion d’un créateur absolu, qui a tout fait, la forme et la matière du monde, et qui a tiré du néant l’existence de toutes choses, excepté lui. Ce second sens de l’argument est le plus généralement reçu, grâce à l’interprétation orthodoxe du début de la Genèse. C’est ainsi véritablement qu’il est identifié avec la croyance chrétienne.

La critique moderne a serré de si près cet argument, elle s’est tellement prévalu de l’abus qu’on en avait pu faire, Bacon et Descartes ont si sévèrement proscrit les causes finales du domaine de la science, qu’il est bon peut-être d’insister sur la valeur d’une considération théologique qu’il ne faut ni exagérer ni rejeter.

Ceux qui la nient afin de nier ce qu’on en conclut, c’est-à-dire Dieu même, veulent que l’ordre du monde soit l’ouvrage du hasard ou de la nécessité. Ces deux mots se retrouvaient sans cesse sous la plume des athées du dernier siècle. Ils expriment deux hypothèses, dont la première est certainement la plus absurde, car la supposition du hasard nie l’ordre lui-même. Le sens du mot, si le mot hasard est définissable, est la coïncidence des disparates. Si tout est fortuit dans la nature, la stabilité en est bannie. Les phénomènes actuels ont pu coïncider une fois, mais le hasard et la permanence impliquent. Quant à la nécessité, ce n’est plus avec la stabilité qu’elle serait incompatible, c’est, Newton l’a dit, avec la variation. La nécessité, pour mériter son nom, doit être aveugle. Et comment une nécessité aveugle aurait-elle produit la diversité, la succession, le retour des phénomènes? Si elle n’est pas aveugle, la nécessité n’est plus que le nom profane de l’ordre divin. Cet ordre, étant le résultat durable de lois constantes, dont quelques-unes sont éternelles, a reçu comme l’empreinte d’une intelligence et d’une volonté immuables. Dieu est l’être nécessaire, et il a imprimé aux choses cette nécessité secondaire qui n’est que la stabilité de leur nature, condition de la possibilité de l’être. Maintenant que tout, dans les rapports des choses, soit moyen et but, que tout résulte d’une adaptation dont notre intelligence aurait le secret, c’est affirmer bien au-delà de ce que nous révèlent l’expérience et la raison, c’est réaliser tout ce qu’on imagine. L’existence de Dieu n’a pas besoin pour être prouvée de cette finalité universelle ; il suffit qu’il y ait lieu de reconnaître dans la nature un certain dessein, comme disent les théologiens anglais, et, sans en multiplier les preuves autant qu’ils l’ont fait, il peut être permis d’en donner une.

Je ne sais si tout le monde a réfléchi que, s’il n’y avait pas d’yeux, la couleur n’existerait pas. En lui-même, et abstraction faite du sens et de l’organe de la vue, le monde est incolore. Je ne dis pas qu’en l’absence de l’homme et des animaux la cause de la couleur