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cesserait d’exister. La lumière serait : les ondulations de l’éther continueraient de s’accomplir, et la structure des corps demeurerait telle qu’ils se comporteraient avec les rayons lumineux de manière à produire ces différences d’effets possibles sur des organes possibles, différences que nous appelons couleurs; mais tandis que les conditions d’existence de la matière subsisteraient, tandis que les planètes dans leur course, la neige et la pluie dans leur chute suivraient les lois de la pesanteur, tandis que la chaleur du soleil fondrait les glaces et durcirait la terre, et que les végétaux s’élèveraient verticalement et s’étendraient latéralement par le volume de leurs troncs et la projection de leurs branches, tandis qu’en un mot aucune des lois de la physique, de la chimie, ne serait suspendue, tous les phénomènes de l’optique seraient réduits à des phénomènes de mécanique, et la lumière et l’ombre, en tant qu’elles produisent, avivent, éteignent des teintes diverses que nos sensations seules nous apprennent à distinguer, seraient comme si elles n’étaient pas. Elles existeraient comme causes, non comme effets.

Supposez maintenant que l’homme ou d’autres êtres vivans vinssent au monde avec cet organe de la vue, si artistement composé dans toutes les espèces que la nature en a douées, et que la lumière n’existât pas, ou plutôt que rien dans la constitution de la lumière et des corps ne fût disposé de manière à produire sur cet organe la sensation de la couleur, si le monde en un mot était incolore, ou même rigoureusement monochrome, sans aucune diversité d’ombre et de teinte, il serait invisible. L’organe de la vue serait comme nul. Rien n’est visible, les formes comme les distances, qu’à l’aide de la couleur. Sans la couleur, la vue n’ajouterait rien absolument aux connaissances que nous obtenons par le toucher, dont elle est l’utile auxiliaire.

Ainsi d’une part la couleur, le phénomène de couleur n’est pas nécessaire. L’ordre général de la nature n’en a pas besoin, le système du monde peut s’en passer. D’un autre côté, l’œil et la vue seraient inutiles et comme non avenus, si la constitution de la lumière et des corps n’était pas telle que de certaines affections très connues en résultassent éventuellement pour cet organe. Maintenant qui voudra soutenir que c’est par hasard que la rencontre des ondulations lumineuses et des surfaces étendues produit, en sus de leur rôle dans le système du monde, cet effet additionnel qu’on appelle la visibilité pour de certaines machines organiques qui pouvaient ne pas exister, ou bien que c’est par une aveugle nécessité que certains êtres qui n’ont pas toujours été sur la terre y sont survenus munis d’un appareil compliqué tel que toute la mécanique de l’optique, parfaitement indépendante en soi de leur existence,