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lui occasionne des affections aboutissant à des sensations et à des notions sans aucun rapport de ressemblance assignable avec les causes physiques qui les déterminent? Le monde est invisible en soi, il n’est visible qu’à la condition qu’il y ait des yeux, il le devient dès qu’il y en a. Comment ne pas croire que les yeux sont faits pour voir, et que le monde est fait, entre autres choses, pour être vu? Comment ne pas croire que le phénomène de la couleur, medium indispensable entre l’objet et le sens, est un moyen prédéterminé?

Nous sommes donc loin de rejeter avec le dédain de quelques philosophes religieux la preuve la plus usuelle et la plus saisissable de l’existence de Dieu, celle qui compose à elle seule à peu près toute la philosophie théologique de bien des hommes éclairés.

Mais reprenons cette éducation religieuse que nous avons promis de suivre pas à pas. Si nous feuilletions encore les livres qu’on met dans les mains des plus jeunes écoliers, nous y trouverions bien vite des passages où ils apprennent, en supposant qu’ils ne l’aient pas appris de la bouche de leurs parens, que tous les peuples ont reconnu telle chose que la Divinité. Cicéron, ce grand instituteur de toute jeunesse classiquement élevée, se complaît autant à invoquer à l’appui de la croyance en Dieu le consentement général que l’ordre de l’univers. Le consentement général est une autorité imposante; l’esprit en est naturellement touché, et peut-être est-ce pour les grandes masses de l’humanité une des principales sources de toute foi religieuse que la déférence à une tradition à peu près universelle. Le respect, la sympathie, l’imitation, l’habitude, d’autres principes encore de notre nature nous portent à penser comme les autres ont pensé, et s’il en était différemment, la vie serait beaucoup trop courte pour découvrir par nous-mêmes tout ce que nos devanciers ont trouvé par l’expérience ou la réflexion. Le consentement général n’est donc pas en soi une preuve à dédaigner, ce n’est pas du moins l’efficacité qui lui manque, et cette preuve a été admise et développée par d’habiles gens. L’église l’a employée dans ses cours de théologie.

Je ne crois pas qu’en fait de métaphysique religieuse, la grande majorité des gens qui ont reçu de l’éducation aille beaucoup au-delà de ce qui vient d’être dit. A cela se réduit assez communément toute la théologie naturelle. Je devrais ajouter quelques développemens qu’on y joint d’ordinaire sur les attributs de la Divinité et les conséquences morales qui en résultent pour les hommes, si, du moment où la théodicée touche au sentiment et au devoir, elle ne devenait presque toujours, au lieu d’une simple philosophie, une religion proprement dite. C’est en général au nom du christianisme, c’est dans le langage qu’il enseigne et sous les formes qu’il prescrit,