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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/595

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moi avec les frémissemens de l’aile des songes qui m’emportaient dans les profondeurs de leur royaume. Je goûtais dans sa béatitude cette paix connue de tous ceux qui savent combien, malgré des cimes inquiètes, d’implacables abîmes, de cruels sentiers, la vie des périlleuses aventures est une vallée qui abonde en heureux et calmes réduits.

Peu de temps après cette rude joui-née du 14 novembre, il se fit un grand changement dans ma situation. La petite troupe que je commandais reçut l’ordre de retourner en Afrique. Les spahis, comme on l’a répété souvent, ne se recrutent point de la même manière que les tirailleurs algériens. Ce sont des personnages importans, appartenant à la noblesse de leurs tribus. La guerre comme ils la pratiquent dans leur pays, c’est-à-dire à l’automne ou au printemps, quelque expédition rapide qui les rend à leurs tentes avec des prouesses à raconter, voilà ce qu’ils recherchent et ce qu’ils aiment; mais cette guerre longue, âpre, patiente, qui demande les vertus de la pauvreté, répugne à leurs natures sensuelles. Doués d’une élégante et généreuse bravoure, toutes les fois qu’il y a de la poudre dans l’air ils sont gais, ils sont fiers, ils s’épanouissent; quand cette excitante odeur vient à leur manquer, quand ils ne sentent autour d’eux que la misère, une sombre tristesse les prend. Puis il était arrivé à mon détachement ce qui arrive si vite en campagne à toute troupe légère, il avait bien diminué. Enfin il fut décidé que les spahis regagneraient leurs foyers. J’éprouvai de vives angoisses. Abandonner au milieu de son cours cette entreprise dont j’avais vu les débuts, laisser tout à coup, sans en connaître la fin, ce grand drame qui me captivait si puissamment, cela me semblait une cruelle chose. Le général en chef consentit à me prendre pour officier d’ordonnance. Je pus suivre dès lors avec un intérêt nouveau tous ces faits énergiques et brûlans qui entraînaient tant d’existences dans leur continuel mouvement.

J’allai m’établir au quartier-général, sous une tente turque dressée au-dessus d’un vaste trou. Le colonel de La Tour du Pin, qui partageait avec moi ce nouveau gîte, en a vanté les charmes dans des lettres que je voudrais pouvoir transcrire ici. Cette tente ronde, formée d’une étoffe blanche et cotonneuse, lui faisait, disait-il, l’effet d’une coupole d’albâtre, et lui donnait, à son réveil, toute sorte de riantes idées. Notre coupole fut bien promptement obscurcie par toutes les scories que la boue et la neige attachèrent à ses parois ; cependant je lui ai toujours trouvé de la grâce; puis le trou que recouvrait ce dôme était un gîte philosophique où j’ai passé d’excellentes heures. Un troupier, quelque peu versé dans l’art du fumiste, avait pratiqué, à l’une de ses extrémités, une cheminée dont on ne pouvait point se servir, mais qui donnait quelque chose de patriar-