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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/614

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montagnes qui se recourbent autour de la plaine de Sainte-Marthe, abaissent par une succession de chutes gracieuses la longue arête de leurs cimes, et de chaque côté du port vont plonger dans la mer leurs hardis promontoires portant chacun une vieille forteresse ruinée. Ainsi la plaine semble soulevée entre les bras du géant Horqueta et doucement inclinée comme une corbeille de feuillage vers les flots éblouissans de lumière. Le promontoire du nord se continue par une chaîne sous-marine et se redresse au-dessus de l’eau pour former le Morillon et le Morro, îles rocheuses qui servent de brise-lames au port. L’ensemble du paysage enfermé dans cette enceinte est d’une harmonie indescriptible : tout est rhythmique dans ce monde à part, limité vers le continent, mais ouvert du côté de l’infini des eaux; tout semble avoir suivi la même loi d’ondulation depuis les hautes montagnes aux cimes arrondies jusqu’aux lignes d’écume, faiblement tracées sur le sable. Aussi qu’il est doux de contempler, cet admirable tableau! On regarde, on regarde sans cesse, et l’on ne sent point les heures s’envoler. Le soir surtout, quand le bord inférieur du soleil commence à plonger dans la mer et que l’eau tranquille vient soupirer au pied des falaises, la plaine verte, les vallées obscures de la sierra, les nuages roses et les sommets lointains, saupoudrés d’une poussière de feu, présentent un spectacle si beau qu’on cesse de vivre par la pensée et qu’on ne sent plus que la volupté de voir. Ceux qui ont eu le bonheur d’avoir sous les yeux ce paysage grandiose ne l’oublient jamais. Un de mes amis grenadins, auquel, avant d’aller à Sainte-Marthe, j’avais demandé quelques renseignemens, ne put me répondre que par un sourire de regret et par ce mot : hélas !

L’intérieur de la ville ne s’harmonise pas avec la magnificence de la nature qui l’environne. Sainte-Marthe est le premier établissement que les Espagnols aient fondé sur la côte-ferme grenadine, et, malgré l’ancienneté de cette origine, malgré son excellent port et son titre de capitale du Magdalena, malgré la splendeur que l’avenir lui réserve sans doute, elle compte au plus une population de quatre mille habitans. Les rues, larges et coupées à angles droits, comme celles de toutes les cités âgées de moins de quatre siècles, n’ont jamais été pavées; pendant les jours de forte brise, elles n’offrent à la vue qu’une perspective de tourbillons de sable où le passant n’ose pas s’aventurer. Les maisons sont en général basses et mal construites; dans les faubourgs, elles ne sont même que de simples cabanes en pieux et en terre ; les toits en feuilles de palmiers sont peuplés de scorpions, d’araignées innombrables. En 1825, trois siècles après la fondation de Sainte-Marthe, un tremblement de terre renversa plus de cent maisons, lézarda la cathédrale et les quatre églises. Depuis