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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/656

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était bien moins considérable. Je ne pouvais me défendre d’une sérieuse sympathie pour cette poignée de braves qui, au milieu d’un pays déjà frémissant, restaient fidèles à leur drapeau; mais je n’étais point libre d’obéir à mon penchant. Trop d’indices m’avertissaient que la cause de l’Espagne était définitivement perdue. Lui prêter le moindre appui, c’eût été se compromettre sans la sauver. Je crus donc devoir résister aux instances que m’adressait le général Lacerna pour obtenir que je prolongeasse mon séjour sur la rade du Callao. «Notre présence, me disait-il, avait produit un excellent effet sur l’esprit des habitans de Lima. » Si nous avions rassuré les royalistes, nous devions au même titre alarmer les indépendans. Rien ne m’autorisait à assumer ce rôle. Arrivé, le 31 janvier 1821, devant Lima, je fixai irrévocablement mon départ au 4 février.

Je voulus mettre cependant à profit le peu de temps que je devais passer sur les côtes du Pérou pour en visiter au moins la capitale. Nous ne connaissions la ville de Lima que par les récits fabuleux des moines et des flibustiers. Je savais que, pendant plus de deux siècles, de prodigieuses richesses s’y étaient accumulées, et que dans ce pays, où le fer était rare, l’argent, méritant son nom de vil métal, se voyait souvent consacré aux plus vulgaires usages. En réalité, cette ville, où j’aurais vu, je crois, avec moins d’étonnement que l’élève du docteur Pangloss, de jeunes garçons, pour jouer au palet dans les rues, se servir d’émeraudes et de rubis, cette ville dont la renommée nous avait tant vanté l’opulence fantastique, est une de celles dont l’aspect m’a semblé le plus modeste et le moins oriental. Le trait qui m’en a le plus frappé est celui-ci : sur une population de cent à cent dix mille âmes, les deux tiers des habitans étaient des femmes; l’autre tiers comptait près de dix mille moines. Le luxe de toute ville espagnole, ce sont les églises et les couvens : on comptait à Lima en 1821 soixante-quinze de ces édifices; c’étaient les seuls monumens de la capitale du Pérou. Le palais même du vice-roi me sembla d’apparence assez chétive. J’y pus cependant contempler dans une vaste galerie les portraits de tous les vice-rois qui avaient exercé le gouvernement du Pérou depuis Pizarre. L’un d’eux était cet O’Higgins qui signala son administration par d’utiles réformes, et dont le petit-fils était devenu, au moment de notre passage dans la Mer du Sud, le directeur suprême de la république du Chili.

Le dénoûment que j’avais prévu se fit peu attendre. Quand l’heure marquée par le destin a sonné, tout semble se réunir pour hâter la chute des empires. On eût pu croire que la constitution libérale adoptée en Espagne mettrait un terme aux révolutions des colonies. Ce fut pour la révolte un nouvel aliment. Le clergé, qui avait jusque-là