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qu’une funeste inspiration pour les mettre aux prises. Peu aimés des Chiliens, auxquels ils ne marchandaient pas cependant leurs secours, les Anglais ne rencontraient au Pérou qu’éloignement et méfiance; mais la prétention des Anglais n’est pas, on le sait, de se faire aimer. Oderint dim metuant, telle a été de tout temps leur devise. Malgré la haine dont on payait leurs allures hautaines, ils avaient déjà fait passer une partie de l’argent du Pérou dans les coffres de la banque de Londres. On ne citait pas en 1821 un seul navire anglais de guerre ou de commerce qui eût quitté l’Océan-Pacifique sans emporter en Europe des sommes considérables. Ainsi, dans la Mer du Sud comme ailleurs, le commerce britannique s’était assuré déjà le premier rang; mais je ne croyais pas impossible, grâce aux sympathies qu’on nous témoignait, de le lui disputer.

Le 4 février 1821, comme j’en avais prévenu le général Lacerna, nous appareillâmes de la rade du Callao pour rentrer en Europe. Le 10 mars, nous doublions de nouveau le cap Horn, et le 7 avril nous entrions dans la baie de Rio-Janeiro. Une grande nouvelle nous y attendait. Le 29 septembre 1820, Mme la duchesse de Berri avait donné au roi, à la famille royale et à la France ce prince dont la naissance, assurant l’avenir, eût pu être le gage d’une réconciliation durable entre tous les partis. Malheureusement les partis ne se réconcilient pas, si ce n’est pour travailler à la ruine de ce qui existe. Le sentiment monarchique n’était pas seulement éteint en France, il menaçait de s’éteindre en Europe. Les premiers mots que me dit le roi Jean VI, lorsque j’eus l’honneur de lui être de nouveau présenté, furent ceux-ci : « Les affaires de cette grande ville vont mal, monsieur l’amiral; c’est comme partout. »

Rien ne dénonçait cependant à Rio-Janeiro une bien sérieuse agitation : le roi, par des réformes administratives, s’était efforcé d’endormir l’esprit révolutionnaire; mais les provinces du Brésil avaient de constantes communications avec le Portugal, et pour le Portugal l’exemple de l’Espagne avait été contagieux. Le peuple et l’armée exigèrent une constitution. D’une constitution à une abdication il n’y a qu’un pas. Dès que la confiance a cessé d’exister entre le souverain et les sujets, la retraite est généralement le parti le plus sage; elle est toujours le parti le plus sûr. C’est ce que pensa le bon roi Jean VI, fort peu soucieux de jouer le rôle de Charles Ier ou celui de Louis XVI. Le 22 avril, un décret nomma le prince royal dom Pedro lieutenant-général du royaume du Brésil, et trois jours après sa majesté très fidèle s’embarquait à bord du vaisseau qui portait son nom. La reine l’y avait précédé avec toute la cour. La flotte portugaise mit à l’instant sous voiles et fit