Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/670

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans cette immense fourmilière du travail, nul ne compte sur autrui; il faut faire son chemin tout seul, marcher sans retourner la tête, lutter sans murmure, sans plainte, contre tous les obstacles. Malheur aux vaincus! la pitié les soulage, mais les relève rarement. C’est à la force de résistance, à l’obstination que se mesure la valeur des hommes; une intelligence vive et passionnée, des facultés brillantes leur sont moins utiles que la volonté et le caractère, armures plus solides pour le combat de la vie. Il n’y a rien qu’un véritable Anglo-Saxon vénère, admire à l’égal d’un homme qui, suivant la mâle expression de son langage, s’est fait lui-même, qui de la pauvreté, de l’obscurité, des bas-fonds où l’ignorance et la misère retiennent leurs milliers d’esclaves, s’est, par un lent et continuel effort, élevé jusqu’à la richesse, à la renommée, à la puissance : si cet homme a eu le singulier bonheur, en travaillant à sa propre fortune, d’améliorer la condition générale de ses semblables, d’ajouter quelque lustre à la gloire de son pays, d’ouvrir un courant nouveau à l’activité humaine, il prend place alors parmi les favoris de l’opinion, et la popularité lui jette toutes ses couronnes.

De telles gloires deviennent une véritable force pour les nations : les bienfaits rendus par ceux qui conquièrent ainsi la renommée sont de plus d’une sorte ; ils ne sont pas tout entiers dans les découvertes, dans les services personnels, ils se centuplent et se multiplient à l’infini dans les âmes. L’exemple de pareilles destinées réveille l’ambition des plus humbles, vivifie l’activité sociale, s’empare de l’imagination populaire; que de héros n’a pas suscités dans nos armées françaises le souvenir vivant de tant de soldats sortis des rangs les plus infimes et devenus de grands capitaines, des conquérans, des rois ! En Angleterre, la classe ouvrière a eu aussi ses héros, car on peut bien donner ce nom à des hommes qui, sans aucun secours, sans capital, sans patronage, ont réussi à remporter les plus éclatantes victoires dans les luttes pacifiques de l’industrie, et, par le simple effort de leur intelligence, ont fait faire à la civilisation des pas plus décisifs que tant de capitaines et d’hommes d’état. Parmi ces hommes, il en est peu dont la vie soit aussi instructive, aussi attachante que celle de George Stephenson, l’inventeur de la locomotive et le promoteur des chemins de fer. Comme un rayon qui se glisse dans une nuit obscure, dans combien de chaumières, de tristes réduits, le petit livre qui résume cette existence si bien remplie n’a-t-il pas dû laisser une consolation et une espérance! L’histoire de cet honnête et courageux ouvrier, à qui notre temps doit un de ces services signalés qui marquent en quelque sorte une des grandes étapes de la civilisation, est une des lectures les plus fortifiantes qu’on puisse recommander. On voudrait voir ce livre traduit dans toutes les langues, et répandu surtout parmi les classes populaires.