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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/669

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d’hui l’un des centres du monde. Ce qui, pour les peuples du midi, plus capricieux, plus indolens, est une fatigue, une dure nécessité, un devoir qu’on n’accepte qu’en le maudissant, est pour l’Anglo-Saxon la raison de la vie, le sel de l’existence. Pour lui, le travail est moins un moyen qu’un but; l’oisiveté même est plus active en Angleterre qu’ailleurs, et la complication des conventions sociales y fait de la vie élégante une véritable fatigue. Voyez encore de quelle manière travaille un ouvrier anglais, un forgeron par exemple. A la rouge lueur des fournaises, le sérieux qu’il garde a quelque chose d’effrayant; le Français trouve moyen de jeter une remarque ou une plaisanterie entre deux coups de marteau; le Vulcain anglais ne s’interrompt jamais, et son instrument retombe sur le fer sans relâche, avec l’implacabilité du destin. Tout se fait et se mène ainsi dans cette île, le labeur manuel, la banque, les grandes affaires, la politique; rien de chimérique dans les esprits : l’utile et le réel dominent tout. Allez dans l’office de l’une de ces puissantes maisons où princes et peuples vont solliciter des emprunts : dans quelque rue fangeuse de la Cité ; vous verrez des salles basses et sombres où nos manieurs d’argent français, dont les dernières années ont vu éclore l’éphémère fortune, rougiraient de vivre un seul jour. Qui parle de fictions parlementaires? Il faut avoir oublié l’histoire des Stuarts, tant de ministres décapités ou enfermés à la Tour... Nelson, le jour du combat de Trafalgar, ne perd point son temps à de longues proclamations : « L’Angleterre, dit-il à ses marins, attend de chaque homme qu’il fasse son devoir. »

Les races sont comme les organes divers de l’humanité; chacune semble avoir une tâche différente à remplir. La destinée de la race anglo-saxonne est comme tracée dans son histoire entière, dans ses grandes entreprises de colonisation, dans le défrichement de l’Amérique, dans le sillage de ces innombrables vaisseaux qui traversent tous les océans et se chargent des dépouilles de l’univers. Prenant au sérieux le mot biblique : « tu gagneras ton pain à la sueur de ton front, » l’Anglo-Saxon s’est mis à la tâche avec une ardeur que rien ne refroidit, que rien n’arrête, et avec le pain il a conquis l’or, la puissance, la force physique et morale, la fierté. Pris d’une véritable fièvre d’activité, il ne s’est point contenté de suffire à ses propres besoins; il s’est mis à travailler pour le genre humain, il a fabriqué des étoffes, des armes, des instrumens pour le monde entier; il envoie ses missionnaires au centre de l’Afrique pour offrir à des tribus sauvages les produits de Manchester et de Sheffield; il rapporte tissé à l’Américain le coton qui vient des États-Unis; il fera demain, si l’on veut, des joujoux pour Nuremberg et des chapeaux de paille pour Panama. Pour être une des maîtresses du monde, l’Angleterre s’est faite la première servante de l’humanité.