Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/680

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sens n’aurait pu songer à traverser Chat-Moss pour joindre par un chemin de fer Liverpool et Manchester. On ne pourrait y établir une voie ferrée sans enfoncer dans la tourbière. — Chaque partie de ce projet montre que cet homme (Stephenson) s’est appliqué à un sujet dont il n’a aucune connaissance, et où il ne peut apporter aucun élément scientifique. — Les machines locomotives dépendent dans leur action du temps : un coup de vent assez fort pour gêner la navigation sur la Mersey rendrait impossible le voyage d’une locomotive. »

Les directeurs du chemin projeté ne furent point découragés par cette première défaite, et recommencèrent de nouvelles études; seulement, comme on avait tiré grand parti dans le comité des communes de quelques erreurs de détail découvertes dans les plans, levés, on l’a vu, avec tant de précipitation et de difficulté, l’exécution des études supplémentaires fut confiée à des ingénieurs d’une grande notoriété : ils s’écartèrent des domaines de lord Sefton, passèrent aussi loin que possible de la résidence de lord Derby; enfin, en ce qui concernait l’emploi des locomotives, on ne réclama dans le nouveau bill l’insertion d’aucune clause particulière autorisant la compagnie à user de ce nouveau moteur. Au cas où l’on reviendrait plus tard à ce projet, on se soumettait d’avance à toutes les restrictions, à toutes les mesures de prudence que le parlement pourrait imposer. À ces conditions, le bill passa; Stephenson fut nommé ingénieur en chef, et mit aussitôt la main à la partie de son chemin de fer qu’on avait hautement proclamée «impossible. » Les premiers chantiers furent installés sur la tourbière de Chat-Moss. Pour traverser ce terrain spongieux, toujours imbibé d’eau, élastique, obéissant à la moindre pression, Stephenson eut l’idée hardie de construire une sorte de grand radeau avec des pièces de bois, de la mousse desséchée et des terres rapportées. Ce radeau devait être assez large pour que le poids d’un train, réparti sur une très grande surface, ne pût déterminer aucun affaissement permanent du sol. Nous ne pouvons raconter ici en détail quelles difficultés Stephenson eut à vaincre pour exécuter ce vrai chemin de fer flottant. Plus d’une fois on voulut arrêter le travail, mais l’opiniâtreté de l’ingénieur triompha de tous les obstacles, et quand le chemin de fer fut ouvert, on dut reconnaître que la voie n’était nulle part plus sûre qu’à travers ce marécage, où l’on craignait de voir les trains s’enfoncer et disparaître.

Stephenson dirigea lui-même et jusque dans les moindres détails l’exécution de tous les travaux d’art du chemin de Liverpool à Manchester. Dans cette tâche difficile, pour laquelle on n’avait encore ni précédens ni modèles, il fit preuve d’une remarquable aptitude d’organisateur, qualité non moins nécessaire aux grands ingénieurs