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aujourd’hui si puissante était à créer : on ne connaissait pas encore ces grands entrepreneurs qui peuvent transporter partout un immense matériel et un personnel bien dressé, et qui construisent les voies avec une merveilleuse rapidité. Des dix-huit entrepreneurs du chemin de Londres à Birmingham, onze furent ruinés, et la compagnie dut reprendre leurs travaux. Quelques-uns, il est vrai, eurent à surmonter des difficultés inattendues : la tranchée de Blisworth et le tunnel de Kilsby sont encore aujourd’hui cités parmi les plus formidables travaux de ce genre. On vit sur les nouveaux chemins de fer se former peu à peu un type spécial d’ouvriers terrassiers. Les navries, c’est ainsi qu’on les nomme en Angleterre, ont un costume particulier ; sans demeure fixe, ils vont sans cesse d’un chantier de terrassement à un autre ; doués d’une force extraordinaire, on les voit quelquefois travailler pendant seize heures de suite ; leurs immenses brouettes sont toujours chargées de trois à quatre cents livres de déblais. Associés par petits groupes au nombre de dix ou douze, ils font leurs conditions avec les entrepreneurs, et quand l’un d’entre eux ne travaille pas suffisamment, il est exclu du groupe (gang) par ses camarades eux-mêmes.

Depuis le jour où fut commencé le chemin de Londres à Birmingham, il ne se fit pas une voie ferrée en Angleterre que George Stephenson n’eût à s’en occuper. Il s’établit d’abord à Alton-Grange, dans le comté de Leicester ; il y avait commencé l’exploitation d’une mine de charbon, ce qui ne l’empêchait pas de consacrer une activité incessante à ses ateliers de construction de Newcastle et aux nombreuses lignes de chemin de fer au sujet desquelles il était consulté. Il dictait quelquefois des lettres pendant douze heures de suite, car il avait appris l’écriture si tard qu’il n’aima jamais à tenir la plume lui-même. Tout le réseau ferré qui relie York, Manchester, Leeds, Sheffield, Derby et Birmingham, fut exécuté sous sa direction. Pendant la construction du chemin de Derby à Leeds, il vint se fixer dans le beau domaine de Tapton-House : il y était à la tête d’importans charbonnages, et créa tout auprès les usines à fer de Clay-Cross. Le temps du repos était arrivé pour lui ; peu à peu il se retira des grandes entreprises de chemins de fer, laissant à ses élèves, surtout à son fils, le soin de compléter son œuvre. Son repos même ne fut point inactif ; de tous côtés, on ne cessait de réclamer, sinon sa coopération, au moins ses conseils. Le roi des Belges, qui de très bonne heure fut pénétré de l’importance des chemins de fer, consulta le grand ingénieur anglais au sujet du réseau qui devait unir les diverses parties de son royaume. Stephenson fit deux voyages en Belgique ; il visita avec un extrême intérêt les grands districts houillers du pays, et reçut du roi Léopold la croix de chevalier, seule distinction honorifique qu’il accepta durant sa longue carrière. Il