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la machine à vapeur et la voie ferrée ne sont que les organes corrélatifs d’un même système, et que vouloir lancer des locomotives sur les routes ordinaires, c’est inviter des voyageurs à monter dans un train qui déraille. L’intérêt privé discerna plus rapidement que ne pouvait le faire une assemblée politique l’avantage incontestable des nouvelles voies de communication, et l’on vit se former ces puissantes sociétés qui, sans patronage, se passant de l’appui du gouvernement, réussirent, par les seules ressources du crédit, à couvrir l’Angleterre d’un réseau serré de chemins de fer, à exécuter dans l’espace de quelques années le plus gigantesque ensemble de travaux dont aucun âge puisse se glorifier. Stephenson avait sa place marquée dans ces grandes entreprises : après le chemin de fer de Liverpool à Manchester, il construisit une petite ligne de Canterbury à Whitstable. Son fils Robert fut nommé, quoique fort jeune encore, directeur du chemin de Leicester et Swannington, destiné à ouvrir des débouchés aux districts houillers du comté de Leicester. On vit alors les ingénieurs qui avaient employé leur autorité à combattre les premiers projets de George Stephenson construire eux-mêmes ces chemins de fer dont ils avaient si bien démontré l’absurdité. Stephenson et son fils firent pour leur part le réseau du Lancashire, dont l’industrieuse Manchester est le centre, et bientôt ils songèrent à relier cette ville à Birmingham, et Birmingham même à Londres. Ce dernier projet excita une opposition inouïe : des meetings eurent lieu dans toutes les villes où devait passer la longue artère destinée à décupler les forces productives de la Grande-Bretagne, et l’on y vota les résolutions les plus violentes et les plus absurdes. En dépit de toutes ces résistances, les études furent exécutées. Les directeurs n’épargnèrent aucune tentative pour se concilier les propriétaires; leur bill, admis après de longues discussions par la chambre des communes, fut rejeté par les lords. L’année suivante, il passa sans conteste; mais dans l’intervalle on avait été obligé déporter le chiffre des achats de terrain de 250,000 à 750,000 livres sterling; les frais de parlement s’élevaient jusqu’à 72,868 livres. Des charges semblables pèsent encore aujourd’hui sur la plupart des chemins de fer anglais, et sont la principale cause des faibles dividendes qu’ils distribuent. La concurrence des lignes, l’abus des emprunts, une mauvaise administration financière, la multiplication des embranchemens, achevèrent le mal; mais à l’époque où fut commencée la ligne de Londres à Birmingham, on ne pouvait encore prévoir tous ces mécomptes, et l’on entrait à peine dans ce qu’on pourrait appeler l’âge d’or des chemins de fer.

La ligne de Londres à Birmingham fut, à cause de la longueur du parcours, divisée en dix-huit sections, dont les travaux furent confiés à autant d’entrepreneurs différens. Tout dans cette industrie