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meurèrent échoués et remplis d’eau. Le tube pesait 1,800 tonnes, et l’on avait calculé que les pontons, une fois vidés, s’élèveraient avec une force d’ascension qui n’était pas inférieure à 3,200 tonnes. Quand tout donc fut terminé, on n’eut qu’à fermer les valves par où chaque jour les eaux s’introduisaient à la marée montante : le flux arriva, et l’on vit la masse énorme du tube s’élever graduellement sans la moindre difficulté. Soulevé par la forte pression de l’Océan, le radeau flottant fut remorqué par des bateaux à vapeur jusqu’aux piles en maçonnerie. Le tube fut amené sur des appuis qu’on avait préparés. Les valves des pontons rouvertes, ceux-ci se séparèrent du tube et descendirent au fond de l’eau. Le tube lui-même resta isolé sur ses appuis provisoires. Cette difficile opération avait été si bien préparée, qu’elle put être terminée dans l’espace d’une seule marée et sans qu’aucun accident vînt l’interrompre. Une opération non moins difficile restait encore à faire : il fallait hisser le tube jusqu’au sommet des piles. Cette fois encore on eut recours à la force motrice de l’eau ; une presse hydraulique avait été installée dans la Tour-Britannia, à quarante pieds au-dessus de l’élévation que le pont devait atteindre. L’extrémité de la grande masse de tôle se rattachait par de puissantes chaînes et des barres de fer au piston, que soulevait lentement la force irrésistible de l’eau dans la presse hydraulique. Chaque fois que le tube s’était élevé de six pieds, on le maintenait immobile pendant que le lourd piston redescendait. Puis une nouvelle ascension avait lieu, et c’est ainsi que graduellement l’extrémité du tube finit par atteindre jusqu’à la hauteur du pilier. Une opération toute semblable se faisait pendant ce temps à l’autre extrémité, et la longue masse de fer se trouva ainsi amenée à sa place définitive. Elle fut soumise ensuite aux plus sévères épreuves. Les trains les plus lourds ne la faisaient fléchir que d’un demi-pouce au plus, et l’on calcule que cette déviation n’est pas plus forte que celle qui résulte de la dilatation du métal quand le soleil échauffe fortement le tube pendant une heure environ.

Avec ses portées de quatre cent soixante pieds, le pont Britannia ouvrit une ère nouvelle dans les annales de la construction. Encouragé par cet essai, Robert Stephenson éleva sur des proportions plus grandioses encore le pont Victoria, qui relie les deux rives du grand fleuve Saint-Laurent au Canada. Cette œuvre, à peine achevée, n’a pas encore été l’objet d’une description détaillée ; mais dès à présent on la range parmi les chefs-d’œuvre de l’art moderne. Les rapports entre le Canada et les États-Unis vont en recevoir une activité inconnue, et la belle colonie du nord de l’Amérique recueillera bientôt les fruits de l’entreprise hardie tentée par Robert Stephenson et secondée par les capitaux de l’Angleterre. C’est par