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cet état, tout étrange qu’il est, n’implique pas un renversement des lois physiologiques. Déjà on avait proposé diverses théories plutôt fondées sur une conception a priori que sur des observations positives. On reconnaissait bien dans les actes du somnambule, comme dans le rêve, un ravivement excessif de la mémoire; mais ce phénomène ne suffit pas pour rendre compte de tous les actes. Quelques exemples vont nous en convaincre. Le célèbre somnambule Castelli traduisait dans ses accès de l’italien en français, et cherchait ses mots dans le dictionnaire. Un pharmacien somnambule, dont l’histoire est racontée par le professeur Soave de Pavie, se relevait la nuit pour préparer ses médicamens, et quand il était embarrassé, il allait consulter les ordonnances des médecins déposées dans un tiroir. Quelque puissante que soit la mémoire, il est impossible d’admettre que Castelli sût par cœur et page par page le dictionnaire italien-français, que l’apothicaire de Pavie relût simplement en pensée des ordonnances déjà gravées dans son esprit. Ainsi les somnambules voient, et cependant leur œil reste insensible à la lumière; ils n’aperçoivent rien de ce qui les entoure, et poursuivent dans un monde réel l’accomplissement d’idées imaginaires. Ce fait accrédita l’opinion que le somnambule sent, perçoit par d’autres voies, d’autres organes que les gens éveillés; mais c’est là une pure supposition, et l’observation a établi déjà depuis longtemps que dans l’état de somnambulisme naturel tous les sens ne sont pas fermés. Sans parler du tact, qui est notoirement assez développé, l’ouïe n’est manifestement que dans un engourdissement imparfait, comme il arrive fréquemment dans le sommeil simple; car la personne endormie fait parfois intervenir dans ses rêves les bruits qui viennent frapper son oreille. Plusieurs somnambules sont même sensibles à l’action de la lumière. Castelli, ayant éteint la chandelle placée sur sa table pendant son travail, fut à tâtons la rallumer dans la cuisine. Cependant, si l’œil continue de voir, sa faculté visuelle n’est certainement pas toute semblable à la nôtre, puisque les somnambules s’acquittent dans les ténèbres des travaux les plus difficiles, et marchent avec assurance sur les toits et les gouttières, où pendant le jour ils auraient grand’peine à se conduire tout éveillés.

Le docteur Michéa a fait remarquer qu’il suffit pour expliquer ce phénomène d’admettre une légère modification dans l’appareil visuel. La faculté de voir dans l’obscurité n’est pas un fait inouï. Les hiboux, les rats, les chats ont la rétine si impressionnable qu’ils distinguent nettement les objets de nuit; il est bien d’autres animaux dont les habitudes nocturnes impliquent la même faculté. Il suffit donc d’une surexcitation de l’organe de la vue analogue à cette sur-