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lonnes, ces rustiques chapiteaux qui, la première fois qu’on les vit à Pœstum, dans le siècle dernier, parurent si étranges qu’on les prit pour une création locale et fortuite, une œuvre déréglée de cyclopes ou de géans, et que pendant longtemps on en fit comme un ordre à part sous le nom d’ordre de Pœstum ; lorsqu’il fut avéré enfin que cet ordre insolite et soi-disant inculte était en Grèce d’usage universel, l’ordre par excellence, avant et y compris le siècle de Périclès, il fallut bien en prendre son parti et concevoir l’art grec sous un jour tout nouveau, c’est-à-dire reléguer à la seconde place les perfections inanimées, les lignes déliées et subtiles, et ne donner le premier rang qu’à la mâle énergie et à l’antique simplicité.

Et l’on voudrait que cette vérité, une fois acquise à la critique, n’eût jeté ses rayons que sur les arts plastiques, sans que sur la poésie il en tombât quelques reflets? N’allez pas jusqu’en Grèce, passez deux heures au British Museum, dans cette grande salle tapissée tout entière des dépouilles d’Athènes; suivez des yeux cette bruyante cavalcade, cette procession majestueuse et vivante; contemplez ces colosses dont les poitrines mutilées respirent et se soulèvent sous leurs diaphanes draperies, et en regard de cette statuaire, comme pour en donner l’échelle et mettre tout à son plan, ce fût tronqué de colonne dorique portant son immense chapiteau; laissez-vous pénétrer de l’esprit de ces formes, et dites-nous si vous éprouvez là cette froideur un peu pédante, ce je ne sais quoi d’abstrait et d’artificiel qui, plus ou moins, vous saisit malgré vous dans ces salles d’antiques de presque tous les musées d’Europe, où quelques vrais chefs-d’œuvre se mêlent trop souvent aux produits équivoques des siècles d’imitation! N’est-ce pas autre chose? Si peu que vous ayez de poésie grecque dans la mémoire, vous la sentez s’illuminer; certains éclairs d’analogie s’échappent de ces marbres et vont donner un sens aux mots, aux phrases qui vous étaient impénétrables; ce que ni dictionnaire, ni glose, ni grammaire ne vous pourraient apprendre, ces sculptures vous le disent. Elles vous forcent à concevoir des hommes à leur image, à prêter à ces hommes leurs véritables mœurs et leurs vrais sentimens; vous avez devant vous non pas un art imitateur, une convention savante, non pas même la nature dans le sens général du mot, mais l’antiquité grecque elle-même, la grande et primitive antiquité, qui vous parle sa noble langue. Voilà ce qu’aujourd’hui il est donné à tous de voir et de connaître, et c’est pourquoi, tout pygmées que nous sommes, nous pouvons désormais comprendre ce qui ne fut si longtemps qu’énigmes et que nuages pour de plus grands que nous.

On le voit donc, l’heure est venue de donner à Pindare cette ré-