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poursuivi. C’était tout simplement la vie, la vie dans sa juste mesure, en parfait équilibre avec l’ordre et la règle, mais avant tout la vie, si bien que toute œuvre d’art d’où la vie est absente, quels que soient d’ailleurs sa structure, ses formes et ses traits, n’est grecque que de nom ou n’est pas des beaux temps de la Grèce, on peut l’affirmer à coup sûr. Qui nous avait révélé cette loi? Je ne sais; mais l’évidence n’en fut bien établie et ne devint incontestable que vers le temps et comme à la suite de notre expédition de Morée. Déjà pourtant, huit ou dix ans plus tôt, on en avait comme aperçu les premières lueurs. Des marbres incomparables, tels que n’en possédait aucun musée d’Europe, apparurent tout à coup à Londres et à Paris : c’étaient des sculptures arrachées au Parthénon lui-même; c’était une statue, moins violemment acquise, de moins illustre origine, mais de style analogue, notre Vénus de Milo. Se rappelle-t-on bien l’étonnement, le trouble où ces chefs-d’œuvre jetèrent les esprits? Ce type de beauté contrariait toutes nos traditions. Ce n’était ni la raideur de David ni la molle ampleur de Lebrun; un accord imprévu des dons les plus contraires, un incompréhensible mélange d’idéal et de réalité, d’élégance et de force, de noblesse et de naturel, confondaient notre jugement. Le propre des vrais chefs-d’œuvre est de causer ces sortes de surprise. Ils nous prennent au dépourvu, nous troublent dans la routine de nos admirations; puis bientôt leur ascendant triomphe, ils s’emparent de nous et tournent à leur profit notre penchant à l’habitude : alors ils nous font voir sous un aspect nouveau, ils font descendre à un rang secondaire tout ce qui régnait avant eux. C’est ainsi que les marbres d’Elgin et la Vénus de Milo, une fois acceptés et compris, détrônèrent peu à peu nos chefs-d’œuvre de prédilection, non qu’il y eût chez ceux-ci la moindre déchéance, mais, comparés à ces nouveau-venus, ils étaient de moins haute naissance et n’avaient plus de droits au premier rang.

Ainsi nos vrais initiateurs, avant même l’affranchissement de la Grèce, ce furent ces marbres merveilleux ; mais notre éducation ne s’acheva réellement, nos idées et nos théories ne furent complètement redressées que par l’exploration fréquente de cette terre devenue libre et par l’étude des débris qui la couvraient encore. Lorsqu’il fut bien prouvé que de pareils chefs-d’œuvre ne venaient pas d’un hasard isolé, que partout où s’était conservé un fragment authentique des grands siècles de l’art on rencontrait ce même style, puissant et souple, majestueux et vivant; lorsqu’on apprit qu’à cette statuaire s’associait partout une imposante architecture, faite à sa taille et animée du même esprit, que cette architecture avait pour supports naturels, pour membres nécessaires, ces robustes co-