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an- ils nous ont abandonné leurs tarifs avec une incontestable libéralité ; nous y avons biffé les droits sur les soieries et sur d’autres produits manufacturés ; nous avons obtenu pour les vins peu chargés d’esprit, c’est-à-dire pour l’immense majorité des vins français, une réduction grâce à laquelle les vins de France ne seront pas plus chers à Londres qu’à Paris, et sur les esprits, qui procurent à l’échiquier anglais un revenu de plus de 20 millions de francs, la réduction qui nous est accordée nous laisse dans des conditions de concurrence à peu près égale avec les spiritueux anglais, qui sont soumis eux-mêmes à un droit d’excise. En définitive, nous maintenons de notre côté un système protecteur assez élevé, et les Anglais nous donnent la liberté entière de leur marché. S’il faut juger d’un traité de commerce d’après la vieille et fausse idée de la réciprocité des avantages, on voit que nous n’avons point à nous plaindre. M. Cobden, qui, par une merveilleuse bonne fortune, vient, en s’associant activement à la négociation, de commencer l’éducation économique de la France après avoir achevé celle de l’Angleterre, n’a point marchandé pour son pays les avantages du traité. Une grande part de l’honneur de cette convention revient aussi sans doute aux négociateurs officiels de la France ; qu’on nous permette de compter au nombre de ceux qui ont le plus utilement contribué à cet heureux ouvrage M. Michel Chevalier, dont le zèle et la persévérance viennent de recevoir ainsi la plus chère récompense que puisse envier l’organe d’une grande cause.

Le seul défaut de cet acte remarquable, c’est d’être un traité de commerce. C’est un défaut au point de vue économique et au point de vue politique. Depuis que les vraies doctrines économiques sont accréditées en Angleterre, on y considère avec raison un traité de commerce établissant des concessions réciproques de tarifs comme une véritable hérésie. Il peut y avoir dans un droit de douane deux élémens : un élément de protection, si le droit est établi pour élever une barrière contre une marchandise étrangère, ou un élément purement fiscal, si le droit n’a point pour objet de défendre un produit indigène contre la concurrence étrangère, s’il n’est perçu qu’en vue de procurer une ressource au revenu public. Les Anglais ont renoncé à protéger leurs produits par des droits, et ils pensent qu’en agissant ainsi, un état poursuit son véritable avantage, tandis qu’il commettrait un contre-sens et une absurdité, s’il subordonnait le bien qu’il peut se faire à lui-même de la sorte à la volonté que pourrait avoir un autre état de lui accorder des concessions de tarifs. Ils ne croient donc pas à la théorie de la réciprocité sur laquelle sont basés les traités de commerce. Leurs droits de douane n’ayant plus qu’un caractère fiscal, il leur paraît répugner à l’indépendance d’un grand état d’aliéner par traité telle ou telle branche de leur revenu. C’est au nom des mêmes principes que nous élevions, il y a quinze jours, des objections au traité de commerce dont la conclusion était encore inconnue. Vainement considère-t-on les conventions de ce genre comme des gages d’alliance : les Anglais pensent au contraire que ce sont souvent des occasions de contestations et de conflits. Comme ces traités reposent en effet sur l’illusion de la réciprocité et qu’il est impossible que les deux parties en retirent des avantages équivalens, il arrive que celle qui a été déçue dans ses espérances se croit injustement lésée et réclame vivement. Ces objections ont été présentées ou admises par la plupart des orateurs qui se sont occu-