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d’orchestre de l’Opéra et de la Société des concerts, est mort presque subitement le 16 janvier, après avoir conduit les deux premiers actes des Huguenots. C’était un homme d’esprit et de goût, un musicien éclairé, qui n’avait peut-être pas toutes les qualités désirables pour remplir le rôle si important d’un chef d’orchestre, qui exige encore plus d’instinct divinateur que de savoir. M. Girard, qui avait de la tenue et de la fierté dans le caractère, a eu l’honneur, comme chef d’orchestre de la Société des concerts, de conserver intacte la tradition de son prédécesseur Habeneck, et d’opposer une vigoureuse résistance à l’invasion d’œuvres impossibles qui menaçaient la société en réclamant une place dans ses programmes. La direction de l’orchestre de l’Opéra a été offerte d’abord à M. Gounod, qui l’a refusée, et puis à M. Dietsch, qui succède définitivement à M. Girard. M. Dietsch est un artiste de talent, un compositeur qui s’est fait une réputation honorable dans la musique religieuse. Chef du chant à l’Opéra depuis une vingtaine d’années, connaissant à fond le répertoire, habitué d’ailleurs à conduire des masses chorales et un orchestre aux solennités de l’église de la Madeleine, où il remplit les fonctions de maître de chapelle, M. Dietsch paraît être digne de remplir la place importante qu’on lui a offerte. Que M. Dietsch n’oublie pas qu’un chef d’orchestre a charge d’âmes, et qu’il faut joindre l’autorité du caractère à celle du talent pour se faire obéir facilement par des musiciens tels que ceux qui forment l’orchestre de l’Opéra.

On sait que M. Richard Wagner, le bruyant réformateur de l’opéra allemand, dont nous avons plusieurs fois cité le nom, est à Paris. Nous avons été des premiers à annoncer au public cette bonne nouvelle. On se rappellera peut-être qu’il y a deux ans nous fîmes un voyage sur les bords du Rhin uniquement pour avoir le plaisir d’entendre un opéra de M. Wagner qui échappait incessamment à nos étreintes, comme cet oiseau mystérieux dont on entend dans les bois la note plaintive, et qui fuit, qui s’éloigne toujours, sans qu’on puisse l’approcher. M. Wagner est venu à Paris dans la louable intention de faire connaître ses œuvres et d’agrandir le cercle de sa renommée. Il a donc organisé trois grands concerts au Théâtre-Italien, dont le premier a eu lieu le 25 janvier; les deux autres vont suivre dans l’espace de quinze jours. Nous laisserons M. Wagner développer sa pensée et faire tranquillement son sabbat. Lorsque la cause nous paraîtra suffisamment entendue, nous jugerons l’œuvre-du réformateur comme nous avons déjà jugé ses théories, avec d’autant plus d’indépendance que

C’est un droit qu’à la porte on achète en entrant.

M. Wagner n’a pas daigné, comme c’est l’usage, nous convier à la fête de son esprit. Cet acte de haute urbanité de la part d’un démocrate et d’un proscrit ne troublera pas notre bonne humeur. Pour n’avoir jamais conspiré contre aucun gouvernement, nous n’en aimons pas moins la liberté pour nous comme pour les autres, ce que nous prouverons à M. Wagner en jugeant avec équité le résultat de ses efforts.


P. SCUDO.


V. DE MARS.