de canon traînée par un attelage de guerre, et le voile qui recouvrait ce cercueil était le drapeau même de la Grande-Bretagne. Jamais les hommes n’ont jeté sur un cadavre plus splendide linceul. Ce qu’il y avait dans cette pompe de patriotique et de guerrier lui enlevait la vanité dérisoire dont on est trop souvent offensé aux funérailles opulentes. Cet étendard semblait communiquer sa vie à celui qu’il enveloppait de ses plis éclatans. Ce qu’on croyait voir passer sur cette route de la dernière demeure, ce n’était point, comme il arrive trop souvent, quelque chose de détruit, de déformé, d’inerte, en un cruel désaccord avec toutes les créations d’un art fastueux, un repas apprêté pour les vers avec une ironique magnificence; non, c’était un être vivant, un soldat allant trouver son Dieu dans le drapeau de sa patrie.
Ainsi, des deux généraux en chef qui avaient commencé cette guerre à la tête de deux armées, l’un était mort, l’autre avait déposé son commandement. Les funérailles que je viens de raconter eurent lieu à l’instant même où le général Canrobert, rentré volontairement au sein de l’armée, poursuivait la tâche de tous dans ce qu’elle avait de plus rude et de plus laborieux. Bientôt l’ancien commandant en chef de l’armée française devait quitter cette terre, où le premier il avait planté notre drapeau, qui avait reçu le sang de ses veines sur deux champs de bataille, à laquelle il était attaché enfin par tout ce qui peut unir un homme de guerre et une contrée.
Le général Canrobert a dit quelquefois : « Je suis comme Moïse ; si je n’ai point pu entrer dans la terre promise, il m’a été permis de la contempler. » dans les dernières gardes de tranchées, il la voyait de près en effet, cette terre promise à notre gloire. Nos travaux avaient été poussés avec tant de vigueur, que sur certains points, lorsqu’on mettait l’œil à un créneau, on avait le regard noyé dans l’ombre de la tour Malakof. On semblait presque toucher l’apparition irritante qui devait un jour s’évanouir au contact de notre drapeau.
Dans une de ses excursions aux extrêmes limites de nos attaques, le général Canrobert, une après-midi, passait à un endroit où quelques soldats lui dirent : « Mon général, on ne passe pas ! » Aux questions du général étonné sur le sens de ces paroles, les soldats finirent par lui répondre : » C’est le feu des tirailleurs russes qui empêche de passer par là. Le chemin a été ouvert cette nuit; on n’a pu le couvrir encore; un officier a voulu le traverser tout à l’heure, il a été tué. » Il arriva ce que de semblables explications devaient amener : le général Canrobert entra dans le chemin. Je me rappe-