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sa démarche est mal assurée, son intelligence obtuse ou débile ; il ne fait entendre que des sons inarticulés ou balbutie seulement quelques mots ; il est enfin condamné à une perpétuelle enfance, sans avoir rien des grâces, du charme et de la naïveté de cet âge. Tout en lui inspire l’horreur et le dégoût. C’est le crétin ! Assis à la porte du chalet, de la chaumière, plongé dans une morne apathie, l’œil languissant et sans vie, il semble avoir été placé sur notre chemin comme les tombeaux qu’élevaient les anciens le long des voies pour nous rappeler la vanité de nos grandeurs, la misère de notre condition, en nous disant : Voilà jusqu’où peut tomber l’intelligence dont vous êtes si fiers !

Les crétins sont cantonnés en de certaines localités, et constituent pour quelques populations un véritable caractère ethnologique. Le crétinisme n’est point un accident isolé, reflet passager d’une cause morbide ; c’est le résultat et comme le produit du climat et du sol. Il y a des vallées qui donnent naissance au crétinisme, comme il y a des terrains marécageux qui engendrent les fièvres. L’intelligence, que cette maladie affecte profondément, n’est donc pas plus que le corps à l’abri des influences physiques ; elle s’abâtardit ou dégénère quand le milieu au sein duquel l’individu se développe altère les organes dont le jeu régulier lui est indispensable.

On fut longtemps sans pouvoir s’expliquer cette fatale action du climat et du sol, du régime et du genre de vie, sur le cerveau et le système nerveux. On ne vit à l’origine dans l’idiotie, la démence et le crétinisme, qu’un effet de ces impénétrables décrets de la Providence qui bouleversent nos idées de charité et de justice. On attribua ces affreuses infirmités tantôt à la colère céleste, tantôt à l’intervention d’êtres surnaturels et méchans. Quelques-uns même tinrent ces misères pour un bienfait, et tandis que les gens éclairés regardaient la perte de l’intelligence comme la dernière des calamités, les pauvres montagnards bénissaient comme une grâce d’en haut la naissance d’un crétin. En Orient, l’idiot, ainsi que le fou, est pris pour un saint, un inspiré, un favori de la Divinité. Les progrès de la médecine redressèrent ces idées. En découvrant les causes auxquelles sont dues les maladies de l’intelligence et les dégénérescences qu’elles amènent, la science constata que l’organisme jusque dans ses aberrations est soumis à des lois qui ne sont elles-mêmes que le résultat de celles qui entretiennent l’harmonie de l’univers. Les médecins étudièrent ces maladies comme on étudie les espèces en histoire naturelle ; ils classèrent les différentes catégories d’idiots et d’aliénés, en définirent les caractères et les rapporte respectifs ; ils recherchèrent à quel ordre de causes pathologiques se rattachent les altérations diverses de nos facultés, et reconnurent bientôt qu’on ne pouvait les séparer d’autres dégénérescences, dues comme elles à