Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/832

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Accepté si simplement par Dora, le docteur ne trouve pas plus de résistance chez le père de sa bien-aimée; mais un doute, un scrupule de conscience, amènent la découverte du fatal secret suspendu sur la tête des deux amans. Le spectre sanglant d’Henry Johnston se dresse entre eux. — Mon frère tué par mon mari ! s’écrie, dans le récit des émotions qu’elle ressentit alors, la fidèle, l’intrépide Dora. Elle n’hésite pas, on le voit, à pratiquer ses doctrines. Dussent-ils ne jamais être unis, le meurtrier d’Henry n’en est pas moins celui qu’elle aime, et par conséquent son époux. Ils pourraient, complices d’une fraude concertée entre eux, artisans du même mensonge, taire la vérité qui les sépare. Ni Max ni elle n’y songent un moment, car leur amour périrait étouffé dans l’asile mystérieux et souillé qu’ils lui feraient ainsi. Le crime sera révélé. Le prêtre inflexible, le père implacable tiendra dans ses mains le sort de Max. S’il n’use pas de tous ses droits, s’il ne demande pas vengeance aux lois de son pays, Max se réserve de se dénoncer lui-même, et Dora, sur le point de l’en détourner, se rappelle à temps l’abnégation sublime qu’elle admirait dans la Thekla de Schiller.

L’aveu du meurtre, courageusement fait par Max en personne ait père de sa victime, qui est en même temps le père de sa fiancée, était une des scènes les plus délicates du roman. L’auteur l’a traitée avec une rare hardiesse et un rare bonheur. Le vieillard, après une hésitation poignante, cède aux remontrances de sa fille aînée, qui lui fait entendre non la voix de la pitié, mais celle de la véritable justice et du véritable honneur. Il ne poursuivra donc pas le meurtrier de son fils, mais en même temps il exigera que Max s’interdise de se livrer lui-même à la justice des hommes. Ce secret que le docteur a gardé si longtemps pour son propre compte, il faudra qu’il le garde pour l’honneur des Johnston, compromis par quelques-unes des circonstances qui se rattachent à la mort du malheureux et coupable Henry. Max prête le serment qu’on exige de lui. En revanche, il a celui de Dora, qui lui tend, à la fin de cette pénible entrevue, sa main délicate : « Vous verrez, lui dit-elle, quelle force il y a là-dedans... » En effet, l’absence n’a pas d’action sur cette ferme volonté, sur cette constante et inaltérable affection. Heureuse ou malheureuse, de près comme de loin, sure de Max, Dora lui appartiendra toute et toujours. Elle ne vit plus que par et pour lui; nulle méfiance ne l’ébranle, nulle crainte ne l’arrête, nul chagrin désormais ne triomphera de ce cœur où il règne. Lui, de son côté, n’abdique aucun des droits qu’elle lui a donnés. C’est à sa femme, à la femme que l’avenir lui doit, qu’il écrit sans arrière-pensée ni réserve; c’est à elle qu’il raconte par quel redoublement de sacrifices il veut achever son œuvre expiatoire, à elle encore qu’il prescrit les bons labeurs par lesquels il l’y associe. Il commande, elle obéit, plus fière de sa docilité