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altérations s’étendent sur la constitution de populations entières ; elles ébranlent les santés les meilleures et détruisent complètement les plus faibles.

Tous les voyageurs qui ont visité la Chine, l’archipel indien, nous signalent les effets désastreux de l’opium sur les habitans. L’intelligence des fumeurs d’opium tombe dans un hébétement d’où elle ne sort que pour devenir la proie d’un délire furieux. Les membres se décharnent, la physionomie prend un aspect général de dégradation et de misère morale. Mari, femme, enfans, sont successivement moissonnés par cette horrible passion, véritable contagion qui poursuit son influence abrutissante sur des générations successives. Le hachisch ou extrait de chanvre peut avoir des effets non moins funestes, et chez les Orientaux qui en abusent, il détermine à la longue un véritable état d’imbécillité. Sous l’empire de ce narcotique puissant, les sensations sont bouleversées, les facultés intellectuelles perverties, et les hallucinations les plus étranges, variables comme les rêves suivant la disposition de chaque individu, donnent tour à tour une félicité factice ou des souffrances imaginaires. Depuis la publication du curieux livre du docteur J. Moreau sur le hachisch, on a tenté bien des expériences pour se rendre compte de la nature du délire que ce narcotique produit. On s’est souvent amusé de la surexcitation nerveuse extraordinaire qu’il développe. Ce jeu est périlleux, et l’on fera bien de laisser au médecin l’administration du hachisch, dont l’emploi peut être utile comme médicament.

Je ne dirai rien du tabac ; on en a tour à tour beaucoup médit et parlé avec enthousiasme. Un spirituel critique, M. L. Peisse, s’est chargé de répondre aux détracteurs du tabac ; mais, en tenant compte des exagérations, il faut confesser cependant que l’abus de ce narcotique offre aussi ses très réels dangers. Il est loin d’être démontré que l’habitude de fumer ou de priser, dans des proportions modérées, soit en aucune façon préjudiciable à la santé ; mais, ainsi que le remarque le docteur Morel, le principe contenu dans le tabac, la nicotine, étant un des poisons les plus énergiques que l’on connaisse, on ne saurait nier que l’usage excessif de ce narcotique ne puisse avoir des dangers. Fumer est nuisible aux adultes qui n’ont pas atteint tout leur développement, et à plus forte raison aux enfans. Les jeunes fumeurs sont en général pâles et maigres, et les fonctions de la nutrition ne s’exercent pas chez eux dans la plénitude de leurs effets. Cela suffit pour nous montrer l’influence fatale que pourrait avoir sur la génération un goût trop précoce pour la pipe et le cigare, goût que la mode a produit, que l’oisiveté entretient, et que la régie se garde bien de combattre.

Arrêtons-nous davantage sur les conséquences de l’ivrognerie,