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qui sont plus profondes et plus visibles. L’abus des boissons alcooliques engendre une maladie particulière qu’on a désignée sous le nom d’alcoolisme chronique. Absorbé en proportions immodérées, l’alcool modifie d’une manière funeste les élémens constitutifs du sang et agit sur le système nerveux à la façon d’un principe intoxicant. Un tremblement agite les membres ; l’intelligence devient le jouet d’hallucinations dont les illusions de l’ivresse sont le premier symptôme [delirium tremens) ; elle s’affaiblit peu à peu et se déprave ; des paralysies partielles se déclarent et envahissent bientôt tout le système musculaire. Les diverses affections qui dérivent de l’excès des boissons alcooliques, de même que celles qui sont dues à une alimentation viciée, prennent, dans certaines régions de l’Europe, un caractère de généralité qui en fait de véritables maladies endémiques. Il est des pays où l’alcoolisme chronique sévit avec fureur, où l’eau-de-vie devient le mal dominant et presque exclusif. Un savant médecin suédois, M. Magnus Huss, a écrit sur cette maladie un livre curieux, mais attristant, bien fait pour nous inspirer l’horreur d’un vice dont la classe pauvre est surtout la victime. Toutes les maladies auxquelles l’ivrognerie donne naissance tendent à modifier d’une manière dangereuse notre économie et aboutissent presque toujours à la mort. L’alcool a une double action, l’une locale, qui se fait d’abord sentir et qui porte l’irritation dans l’organe digestif, l’autre, plus générale, qui trouble la nutrition, affaiblit la vitalité, les systèmes nerveux et circulatoire. Ainsi dévasté par l’ivrognerie, le corps devient une proie facile pour la mort, et tandis que chez le buveur la force procréatrice s’épuise, les causes de destruction se multiplient. On ne s’étonnera donc pas que dans certaines villes où l’ivrognerie est un vice à peu près universel la population décroisse avec une effrayante rapidité. M. Magnus Huss nous apprend qu’à Erkistuna, en Suède, l’une des villes où se consomme le plus d’eau-de-vie, il est mort annuellement, de 1848 à 1850, un individu sur 33, tandis que dans les provinces de la Suède où l’ivrognerie est moins invétérée, la statistique nous donne un décès sur 49 individus. Et la preuve que c’est ici l’alcool qui élève le chiffre de la mortalité, c’est que la proportion des décès est notablement plus considérable pour les hommes que pour les femmes. L’alcoolisme chronique est non-seulement un état pathologique, mais une cause permanente, active, de dégénérescence ; il abâtardit la race, il exerce sur le type humain une influence qui frappe les yeux au premier aspect. Le système musculaire est chez le buveur dans un relâchement continu ; le corps est amaigri, la peau a pris une teinte gris jaunâtre ; elle est sèche et rugueuse, et l’épiderme s’écaille facilement ; le tissu graisseux et le tissu cellulaire deviennent le siège de modifications profondes et morbides,