Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/889

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le connétable n’avait point paru. Reculait-il devant les criminels engagemens qui allaient faire de lui un traître envers la couronne et un ennemi de sa patrie, le rendre coupable d’une dangereuse révolte et complice d’une odieuse invasion ? ou bien avait-il craint de donner l’éveil sur ses projets et de les compromettre par un voyage qu’il ne pourrait pas cacher et qui exciterait la défiance de François Ier, déjà instruit en partie de ses relations ? Il était loin de se repentir, et son animosité croissante le portait aux résolutions extrêmes. Le procès qui devait le dépouiller de ses biens suivait son cours. Depuis plus d’un an, on le plaidait devant le parlement de Paris, qui avait plus le désir que la force d’être juste. Deux célèbres avocats, Bouchard et Montholon, avaient défendu les droits de sa belle-mère, Anne de France, et les siens, contre les prétentions de la duchesse d’Angoulême et les réclamations de François Ier, dont l’astucieux avocat Poyet et l’avocat-général Lizet s’étaient faits les soutiens hardis et infatigables[1]. Le roi s’était approprié déjà le comté de La Marche, le comté de Gien, la vicomte de Murat, et toutes les possessions données par Louis XI et Charles VIII à Anne de France, transmises par Anne de France à Suzanne et léguées au connétable[2]. Il avait ainsi déclaré revenus à la couronne les domaines qui en avaient été le plus récemment détachés, et il avait annulé de lui-même la donation que le connétable en avait reçue de sa femme et de sa belle-mère. Pour mieux montrer son dessein, au lieu de les incorporer au domaine royal, François Ier les avait accordés à la duchesse d’Angoulême. Le connétable avait mis opposition à cette saisie prématurée et à ce don contestable.

La cause entière était pendante devant le parlement, où le duc, menacé d’une dépossession prochaine, avait perdu, depuis le mois de décembre 1522, sa puissante auxiliaire Anne de France, qui, renouvelant ses anciennes dispositions avant de mourir, l’avait laissé son légataire universel. Bien qu’il se regardât comme héritier substitué de la partie masculine de cette succession et comme héritier doublement désigné de la partie féminine, il sentait que l’autorité de ses adversaires l’emporterait sur son droit. Le parlement traînait l’affaire en longueur ; c’était toute la justice que le connétable pouvait attendre de lui : il n’avait à espérer que dans le désistement improbable du roi et de la régente. Si le roi et la récente avaient renoncé à le dépouiller, il aurait cessé de s’entendre avec leurs ennemis.

  1. Suite de l’Histoire de Bourbon, par Marillac, f. 282 v° à 293, contenant les extraits des plaidoyers. — Journal d’un Bourgeois de Paris, publié par la Société de l’Histoire de France. Paris, chez J. Renouard, 1854, p. 150 à 152.
  2. Par donation du G septembre 1522. — Voyez cette donation aux Archives impériales, — Voyez aussi Journal d’un Bourgeois de Paris, p. 151.