Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/908

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ni le châtelain ni le cordonnier « ne savaient plus chemin ni voie. » Cependant le connétable les garda encore l’un et l’autre pour panser les chevaux, et peut-être aussi afin qu’ils ne missent personne sur ses traces, s’il les laissait partir. Il avait traversé ce jour-là les montagnes du Cantal, et, se dirigeant tant bien que mal vers l’est, il alla coucher à Ruynes, au-dessous de Saint-Flour. A deux lieues de cette ville, il rencontra sur la route même une compagnie de sept ou huit cents hommes de pied du pays de Gascogne, qui de Lyon se dirigeaient du côté de Bayonne, sans doute afin de s’y joindre à Lautrec et de l’aider à repousser l’invasion prévue de Charles-Quint. Le connétable les vit passer sans se cacher d’eux et sans en être reconnu. De Ruynes, il fut conduit le lendemain au château de La Garde par Pomperant, qui en était seigneur. Il demeura quatre jours pleins dans ce château, où il garda son déguisement et s’assit pendant les repas au-dessous de Pomperant, qui tenait le haut bout de la table. Après avoir attendu là, du vendredi 11 au mardi matin 15 septembre, des nouvelles qu’il avait envoyé prendre par Bartholmé, et qui vraisemblablement ne le satisfirent pas, il congédia ses guides et se remit en route.

Où alla-t-il? Tout ce qu’il avait préparé, sans assez de promptitude et de précision, avait échoué. Ses menées avaient été découvertes, ses ruses déconcertées, ses mouvemens intérieurs rendus impossibles. François Ier, avec une défiance opiniâtre et une résolution habile, l’avait attendu à Lyon et fait poursuivre en Bourbonnais. La place de Chantelle n’avait pas été trouvée suffisamment forte pour y rester et pour s’y défendre jusqu’à la venue des lansquenets[1]. Il n’était pas probable que Carlat offrît un asile plus sûr, et le connétable ne songeait pas à s’y renfermer après avoir licencié les braves et nombreux gentilshommes dévoués à sa fortune. Ce qu’il y avait de mieux pour lui était d’aller joindre en Franche-Comté les lansquenets qu’il ne pouvait plus attendre au cœur du royaume; mais les chemins étaient gardés de ce côté par les troupes de François Ier qui avait fait publier sa trahison à son de trompe et promis dix mille écus d’or à qui le prendrait ou le livrerait[2]. C’est peut-être ce qui le décida à se diriger vers l’Espagne, après avoir paru dans Cariât sans s’y arrêter[3]. Du 15 septembre au 3 octo-

  1. Déposition de Warthy, d’après l’évêque d’Autun. — Mss. 484, f. 36 r°.
  2. « Voulons estre publié à son de trompe que s’il y en a aucun qui nous livre et mette entre les mains la personne du dit connestable, que nous luy donnerons la somme de dix mille escus d’or soleil, et luy ferons d’autres biens et honneurs tant qu’il en sera mémoire perpétuelle du service qu’il aura faict à la couronne et chose publique de France. » Proclamation de François Ier, de Lyon, septembre. — Mss. Clairambault, Mélanges, vol. XXXVI, f. 8777.
  3. Déposition du châtelain d’Herment. — Ibid., f. 97 v°.