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ou les métiers pour velours et certaines étoffes façonnées. Quelques femmes tissent des velours; on en citait une dernièrement qui, grâce à une vigueur exceptionnelle et en travaillant quatorze heures par jour, gagnait des journées égales à celles du meilleur ouvrier. La pauvre fille avait une jeune sœur aveugle à pourvoir; elle est morte à la peine dans la fleur de l’âge, et sans avoir pu réaliser entièrement la pensée pour laquelle elle donnait sa vie. La charité, si active à Lyon, a sur-le-champ adopté la sœur orpheline. Plusieurs femmes, chargées de famille et trouvant dans leur cœur la source d’un courage inépuisable, compensent ainsi par leur activité ce qui leur manque de force, et arrivent à égaler les journées des hommes en travaillant plus longtemps. Ce sont là de rares exceptions. Il ne faut pas souhaiter qu’elles se multiplient, puisque ces excès de travail sont infailliblement funestes à la santé des ouvrières. Le salaire des femmes reste donc inférieur à celui des hommes ; mais elles reçoivent ce qu’elles ont réellement gagné, le fabricant acquitte ce qu’il croit être le juste prix du service reçu : ce n’est pas de lui que les femmes peuvent se plaindre, mais seulement de la nature, qui leur a refusé des forces égales aux nôtres.

On voit que le principe d’après lequel la rémunération est répartie dans la fabrique lyonnaise est le principe libéral, celui qui dit : à chacun suivant ses œuvres. Si l’on cherchait bien, on reconnaîtrait que ce principe est le fondement du droit de propriété. Aussi quelques écoles socialistes lui ont-elles opposé un principe tout différent, et dont on sait la formule : à chacun suivant ses besoins! Comme le droit de propriété sort du premier de ces deux principes, le droit au travail sort du second. Le premier principe mesure la rétribution sur le service, parce qu’il reconnaît le droit de celui qui paie, et le second mesure la rétribution sur les besoins du travail- leur, parce qu’il ne reconnaît de droits qu’à celui qui est payé. Or, quoique le socialisme soit chassé de nos institutions, de nos lois et de nos usages, il envahit sournoisement le domaine de l’industrie. Ce sont les manufactures qui le ramènent de tous côtés, malgré la guerre théorique que leurs chefs lui ont faite et lui feraient certainement encore. Le socialisme brutal réclamait pour l’ouvrier incapable ou fainéant un salaire qu’il ne gagnait pas : il attentait à la propriété. Les manufacturiers qui paient un service moins qu’il ne vaut, parce que l’ouvrier qui le rend a peu de besoins ou beaucoup de résignation, attentent à la justice. A l’époque du grand développement des manufactures en Angleterre, les bras ayant été brusquement abandonnés pour la vapeur, et l’ouvrier ayant cessé par conséquent d’être lui-même une force pour devenir le guide et le surveillant d’une force mécanique, on remplaça partout les hommes par des femmes, qui rendaient le même service, et qui, dépensant