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moins, se contentaient d’un moindre salaire. On vit les hommes, inoccupés, inutiles, garder la maison et les enfans, tandis que les femmes vivaient à l’atelier, et, prenant le rôle de l’homme, en prenaient aussi jusqu’à un certain point les habitudes. Bientôt les fabricans cessèrent de mesurer la rétribution sur les besoins, — il n’y a plus de règle en dehors de la règle, — et comme les femmes n’ont ni l’esprit de résistance qui anime les hommes, ni la force nécessaire pour se faire rendre justice, on poussa aux derniers excès la réduction des salaires. Il y eut même des ateliers où l’on rechercha de préférence les femmes qui avaient des enfans à leur charge, parce que, dans leur désir de donner du pain à leur famille, elles ne reculaient devant aucun travail, et acceptaient avec empressement des prolongations de journée qui dévoraient en peu de temps leurs forces et leur vie. Quand les machines devinrent de plus en plus puissantes et la surveillance de plus en plus facile, l’ardeur du gain, aiguillonnée par la concurrence, remplaça la femme par l’enfant, détruisant ainsi les adultes par le chômage et les enfans par la fatigue. De tels résultats méritent d’être pesés par les partisans du droit au travail; on peut dire que c’est leur arme qui se retourne contre eux. C’est pour avoir voulu entamer le capital au nom du besoin qu’ils voient le capital rejeter les hommes, épuiser et rançonner les femmes et les enfans. C’est donc un grand titre d’honneur pour la fabrique lyonnaise d’être constamment restée dans le vrai, et d’avoir toujours payé le service rendu sans acception des personnes.

La maîtresse d’atelier est rémunérée, de même que son mari, au prorata de l’étoffe qu’elle a tissée. Si l’on ne regardait que ces ouvrières privilégiées, on pourrait dire que la fabrique de Lyon a résolu le problème de traiter équitablement les femmes. Une maîtresse d’atelier, n’ayant pas le loyer de son métier à payer peut, sans trop de fatigue, gagner 4 francs dans sa journée. Sur ces 4 francs, il faut défalquer un quart pour les frais, ce qui porte encore la journée à 3 francs, et comme le ménage, outre le salaire du mari et de la femme, opère un prélèvement sur la journée de chaque compagnon, le bénéfice s’élève en moyenne à 5 ou 7 francs pour la femme, à 6 ou 8 pour le mari. Il ne faut pas oublier toutefois que les crises de l’industrie se traduisent immédiatement pour le chef d’atelier en ruine complète, qu’il dépend pour avoir de l’ouvrage de la bonne volonté du fabricant et de ses commis, et que, même en supposant toutes les chances propices, il subit une interruption forcée de travail chaque fois qu’une pièce est finie et qu’il faut en disposer une autre sur le métier. Les fabricans qui favorisent un maître tisseur lui donnent des pièces à longue chaîne, ou dont l’ourdissage se fait avec rapidité, afin de lui épargner des pertes de temps. Malgré ces