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sière les envahit, les métiers dégarnis ressemblent à des ruines lugubres. Le ménage du maître vit quelques jours sur ses épargnes; l’argent épuisé, et il s’épuise bien vite, le pain manque absolument, car il n’y a pas de crédit possible, si la crise menace d’être longue. Le loyer court cependant, comme l’impôt, pour cet atelier désert; c’est ce qui précipite la catastrophe. On porte au mont-de-piété sa vaisselle, sa literie, ses vêtemens de chaque jour. L’ouvrier qui n’a rien, pas d’épargne, pas d’effets, est mis à l’aumône d’un seul coup. Il devient mendiant avec un cœur courageux et des bras robustes. En 1836, on ramasse un ouvrier sur le quai de la Charité, exténué, presque moribond. « C’est de honte que je meurs, » dit-il pendant qu’on le porte à l’hôpital. A Lyon, le fléau frappe à la fois quatre-vingt mille âmes dans la ville et quatre-vingt-dix mille dans la population rurale. La peste et la famine ne sont rien auprès. La ville est effrayante et navrante le soir. Tout est éteint et morne dans les quartiers laborieux. Les femmes se glissent comme des ombres, tendant la main pour que leurs enfans ne meurent pas, où chantent avec des sanglots dans la voix, et le visage tourné vers la muraille de peur d’être reconnues.

En dehors de ces désastres qui accablent une population entière, il y a des malheurs attachés à la nature humaine, mais dont les conséquences sont particulièrement terribles pour ceux qui vivent du travail de leurs mains. La maladie n’est que la maladie pour le riche; pour l’ouvrier, elle est fatalement la ruine. Dès le premier jour qu’il passe sur le lit de douleur, la paie est supprimée; en même temps la dépense augmente. Il faut payer le médecin, le pharmacien. Hélas! il faudrait aussi avoir de la propreté autour du malade, donner de l’air à cette poitrine embrasée. On a pour ressource l’hôpital, quand l’hôpital ne manque pas de lits. On trouve là le repos, des soins intelligens, des remèdes; mais l’inquiétude torture ce corps brisé autant que la maladie. Que devenir pendant la convalescence? Comment retrouver un métier, des commandes? Si c’est une femme, une mère, où vont ses enfans tandis qu’elle est là gisante et impuissante?

Il y a aussi la vieillesse, longue et incurable maladie. On fait des calculs sur le salaire des ouvriers : 4 centimes pour le logement, 75 pour la nourriture; mais combien pour l’épargne? Si chaque jour, pendant la santé et la force, il n’a pas le courage de se retrancher le superflu et quelquefois de prendre sur le nécessaire, quand ses yeux ne voient plus, quand ses mains tremblent, il tombe à la merci des siens, ou, s’il n’a pas de famille, à la charge de la charité. Reconnaissons toutefois que l’industrie de la soie est une des plus salubres. Les ateliers sont propres et bien aérés. Le travail est fatigant, sans demander une grande dépense de force. Il n’engendre