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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/946

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testable tient à diverses causes : aux dessinateurs sans doute, qui sont les premiers du monde, mais aussi au goût exercé des fabricans et des ouvriers. L’Angleterre fonde d’excellentes écoles de dessin, et, comme si elle se défiait elle-même de ses aptitudes, elle prend à Lyon ses dessinateurs et jusqu’à ses modèles. Rien n’y fait. Nos produits conservent une telle supériorité, que le principal effort de la fabrique étrangère consiste à nous copier. En ce sens, Lyon est devenu une fabrique d’échantillonnage universel. Les reproductions mêmes ne sont point parfaites. L’ouvrier anglais ou allemand imite scrupuleusement la pièce : dessin, couleurs, nuances, tout se retrouve dans la copie, excepté une certaine physionomie de l’original qui lui donne son cachet. Nous restons donc les maîtres pour la haute fantaisie, le grand luxe; mais ce n’est là que la fleur de la fabrique. La force du commerce est dans les étoffes courantes; si nous étions battus sur ce dernier point, la fabrication des étoffes de luxe ne serait plus qu’une partie relativement très insignifiante de la richesse nationale, et il n’est pas même certain qu’on pût la continuer longtemps dans ces conditions, parce qu’il faut qu’une industrie soit montée sur un grand pied pour être florissante, et que les ouvriers d’élite se recrutent dans la masse des ouvriers ordinaires. La vérité est que Lyon a lutté, pour les étoffes de luxe, par la supériorité de ses produits, et pour les étoffes courantes, par la dissémination commencée et chaque jour croissante des métiers dans la banlieue, ce qui a permis de réaliser d’importantes économies sur la main-d’œuvre, et par conséquent de tenir les prix de vente au niveau des étoffes étrangères.

Cette dissémination des métiers hors de Lyon est un fait d’une importance capitale : elle nous préservera de la manufacture, ce qui est un grand bien pour la morale; elle donnera aux femmes un travail isolé et sédentaire, ce qui peut être le salut de la famille; elle luttera, au grand profit de l’ordre et au grand bénéfice des ouvriers, contre la dépopulation des campagnes; elle servira en même temps les intérêts de l’industrie et ceux de l’agriculture. C’est vers ce but assurément que doivent tendre de tous leurs vœux, de tous leurs efforts, tous ceux qui s’intéressent au sort des femmes, à la restauration des vertus de la famille. M. Villermé déclarait déjà en 1835 que les compagnons qui fabriquent les étoffes unies légères gagnaient à peine de quoi vivre. A plus forte raison, le salaire des femmes était alors, est encore aujourd’hui insuffisant; cependant il n’y a aucun reproche à faire au commerce, aucune réforme à lui proposer, tant que la fabrication restera concentrée dans la ville. Il faut que les femmes puissent se marier, et que les femmes mariées puissent rester tout le jour au domicile commun, pour y être la providence et la personnification de la famille. A Lyon, les ouvrières se