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de diminuer progressivement le nombre des ateliers de Lyon, en multipliant les commandes au dehors. L’exemple de plusieurs maisons importantes prouve que cela est praticable. En Suisse, en Allemagne, on ne procède pas autrement. La moitié de la fabrication de Viersen et de Crefeld se fait ainsi à domicile, loin des grands centres de population. Pourquoi ce qui se fait avec un plein succès à Viersen, pourquoi ce que font avec un succès égal certains négocians de Lyon ne se ferait-il pas par tous les autres?

Il est bien à craindre d’ailleurs qu’on ne puisse maintenir longtemps les habitudes actuelles en présence des concurrens étrangers. Il faudra recourir à la dissémination des ateliers ou au moteur mécanique. Le premier procédé n’a que de bons résultats; le second n’est pas sans inconvéniens.

D’abord il faudrait que le commerce de Lyon renonçât à toutes ses façons d’agir. Dans son organisation actuelle, rien ne lui est plus facile que de suivre les variations de la mode. Cette aptitude à se transformer est une des conditions de son succès, que l’outillage en grand et le travail par masses feraient disparaître. C’est là, dans cette industrie spéciale, un inconvénient réel des machines, et il a plus d’importance chez nous que chez nos voisins, dont les modes ont une certaine fixité, surtout pour les étoffes courantes. Non-seulement le négociant de Lyon peut changer ses dessins en un clin d’œil, mais il peut ralentir ou suspendre sa fabrication suivant les besoins. Au contraire, du moment qu’on a de vastes ateliers, un immense loyer sur les bras, des machines, des impôts à payer, des ouvriers enrégimentés par centaines, on ne peut plus, comme aujourd’hui, attendre la commande ou ne la devancer qu’avec réserve, diminuer quand il le faut sa fabrication, ou même l’arrêter tout à fait. Il y a des frais courans qui en très peu de jours constitueraient des pertes considérables, si on gardait à sa charge dans une inaction complète tant de bras et tant de métiers. La nécessité de travailler dans les crises entraîne l’obligation de recourir au crédit, car on ne pourrait plus atténuer les effets du chômage de la vente par le chômage de la fabrication. Voilà tout Lyon en quelque sorte bouleversé, la solidité proverbiale de la place compromise, tous les rapports changés avec les producteurs de soie, les ouvriers et les marchands. Le fabricant ne se reconnaîtrait plus lui-même. Le chef d’une grande usine qui emploie quatre ou cinq cents ouvriers n’a rien de commun avec le fabricant que nous connaissons, que rien ne détourne des deux opérations fondamentales de son industrie, l’achat des matières premières et la surveillance de la fabrication. Quant à l’ouvrier, il périt en quelque sorte dans ce changement; c’est l’eau et la vapeur qui le remplacent. On dit que les crises seraient moins fréquentes,