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d’un nouvel opéra en cinq actes sous le titre appétissant de Gil Blas. Quel sujet pour un opéra-comique ! me disais-je avant d’avoir vu le scénario informe de MM. Michel Carré et Jules Barbier. C’est toute une épopée de la vie que cet admirable roman de Le Sage qui renferme les situations les plus vraies, les plus variées, les plus tendres et les plus comiques du monde. Les caractères originaux y abondent, et il ne faut qu’une main un peu intelligente pour extraire d’une mine aussi riche les élémens d’une pièce intéressante propre à évoquer la fantaisie d’un musicien. MM. Michel Carré et Jules Barbier en ont jugé autrement, et au lieu de combiner une action quelconque avec une ou deux des situations les plus intéressantes du livre, ils ont trouvé plus commode de verser sur la scène tout le roman de Gil Blas, moins l’esprit, la gaieté et le style de Le Sage. Les cinq actes du Théâtre-Lyrique résument donc toute la vie de Gil Blas, qu’on voit passer, comme dans une lanterne magique, depuis la caverne où règne le capitaine Rolando jusqu’à l’antichambre du premier ministre de toutes les Espagnes. De plus, MM. Michel Carré et Jules Barbier ont imaginé de confier ce personnage multiple et divers à une femme, et c’est Mme Ugalde qui est chargée de traduire la verve, la gaieté, les émotions tendres et quelquefois profondes du héros de Le Sage. Décidément il est encore plus difficile de faire une bonne pièce de théâtre, à ce qu’il semble, que de rencontrer un compositeur qui ait des idées et du savoir. La musique qu’a inspirée le fastidieux canevas de MM. Michel Carré et Jules Barbier est l’œuvre de M. T. Semet, qui a déjà produit au Théâtre-Lyrique les Nuits d’Espagne et la Demoiselle d’Honneur, deux ouvrages qui, sans obtenir un véritable succès, ont été remarqués. Nous dirons fort peu de chose de l’ouverture, qui est une imitation affaiblie de la manière de M. Auber, ainsi que de l’inévitable chœur à boire, précédé des couplets que chante Gil Blas pour mieux endormir les brigands dont il est le prisonnier. La consultation du docteur Sangrado, au second acte, n’a pas été bien comprise par M. Semet ; il lui a manqué une bonne idée et le savoir nécessaire pour tirer de cette situation assez comique un de ces morceaux de facture que savent écrire les maîtres. Les couplets que chante encore Gil Blas, et il en chante beaucoup, ne valent pas à mon avis la romance de Gil Blas à Aurore :

Et si c’est un rêve,
Laissez-moi rêver,


où il y a de la grâce. De nouveaux couplets, au troisième acte, chantés très spirituellement par Mlle Girard, qui représente la soubrette Laure, ont été fort applaudis, bien qu’on n’y trouve de remarquable qu’une de ces piperies de rhythme dont l’effet est assuré. Nous estimons ces choses-là ce qu’elles valent, et nous préférons le duo qui termine le troisième acte entre Gil Blas et Laure la camériste, duo en style syllabique dont l’auteur abuse, comme il abuse aussi des mouvemens rapides qui règnent dans toute