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l’ancien nord Scandinave. Son Histoire de la Conversion de la race norvégienne au Christianisme est un beau monument, et on attend avec impatience la suite de ses études sur les sagas et sur l’histoire du droit islandais. Son livre sur les Traditions populaires de l’Islande du présent est le résultat d’un séjour de six mois dans cette île, pendant lesquels il a écouté tous les récits, noté les chants populaires, recueilli les traditions. On a bien rassemblé en trois gros volumes les souvenirs du Groenland, qui est aujourd’hui, peu s’en faut, un glacier ; à plus forte raison pouvait-on faire un tel travail sur l’Islande, qui n’a pas subi de si dures destinées. Le gulf-stream, en se rapprochant d’elle, répand sur ses côtes une certaine chaleur qui corrige les effets de sa latitude ; pendant les mois d’été, un brillant soleil inonde encore la plaine célèbre de Tingvellir, où se tenaient les assemblées nationales de la république islandaise. Il y a eu là des orages populaires, des sentimens et des passions, un développement d’idées politiques, morales, religieuses, dont les échos subsistent aujourd’hui.

C’est en 874 que les principaux chefs de famille de Danemark, de Suède et de Norvège, fuyant l’autorité monarchique, dont l’unité s’établissait alors dans chacun des trois pays et menaçait leur indépendance, vinrent se fixer en Islande avec leurs femmes, leurs enfans, leurs serviteurs et leurs esclaves. L’émigration se composait en grande partie des représentans des hautes classes de la nation Scandinave, de ceux qui aimaient la liberté et qui se dévouaient généreusement pour une idée. On ne trouve pas cependant qu’elle ait apporté dans sa nouvelle patrie un ensemble de dogmes religieux acceptés avec une foi entière et vivante dans les cœurs. L’ancienne religion Scandinave, sans aucun doute issue de l’Orient, après avoir fleuri pendant quelques siècles dans la péninsule septentrionale, semble avoir subi, à l’époque où s’est faite la colonisation islandaise, une transformation qui devait amener sa décadence. C’est Thor, dieu de la force, et non plus Odin, ni Balder, ni Frey, que les nouveaux Islandais préfèrent, et le livre de M. K. Maurer témoigne que les traditions léguées par l’ancienne religion à l’Islande actuelle sont beaucoup moins nombreuses qu’elles ne le sont aujourd’hui même dans les autres états Scandinaves.

En tête des annales du singulier pays qui nous occupe se présente un épisode mémorable : la rencontre du génie celtique et du génie Scandinave ; celui-ci jeune et inaugurant ses futures destinées, celui-là vieux et caduc, et dont la décrépitude s’était ranimée en se pliant aux nouvelles ardeurs du christianisme. Les premiers livres du Nord, comme les Schedae d’Arius Polyhistor et le Landnama-Bok, racontent en effet que les premiers colons en Islande trouvèrent dans cette île une petite population d’Irlandais chrétiens qui s’enfuit à leur approche et disparut aussitôt, en laissant pour seules traces de son passage quelques objets relatifs à son culte, des anneaux et des crosses et des livres de liturgie. Bien que la rencontre eût été courte et rapide, le souvenir s’en est transmis pendant tout le moyen âge, et jusqu’à nos jours, avec un visible sentiment de répugnance et d’horreur. Le