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Landnama-Bok raconte déjà mainte histoire de colons qui trouvèrent la mort pour s’être établis dans les mêmes lieux où avaient habité ces Irlandais. On les avait surnommés papar ou prêtres, et une petite île voisine de la côte orientale avait pris d’eux le nom de Papey. On voit pendant tout le moyen âge cette île passer tantôt pour un séjour de bienheureux où la mort ne pénètre pas, tantôt, et plus souvent, comme si un sentiment de jalousie venait s’ajouter à celui d’une haine instinctive, pour une terre à jamais redoutable et protégée par les malins génies. On dit encore aujourd’hui proverbialement en Islande de celui qui d’une manière inexplicable a de l’argent dans sa poche qu’il porte des chausses de Papey, et les recettes abondent pour fabriquer un si précieux vêtement. Il y faut d’ordinaire la peau d’un mort et une pièce d’or qu’on aura volée, et si un autre avare n’en dépouille pas volontairement le premier possesseur avant sa mort, celui-ci y perdra son âme.

Aux premières explorations de l’île succéda le landnam, c’est-à-dire la prise de possession du sol, qui est racontée dans le Landnama-Bok, récit important et mémorable parce qu’il reproduit indubitablement le tableau de l’établissement primitif des peuples du Nord dans la péninsule Scandinave. Il est intéressant de constater que le souvenir des premiers chefs de l’émigration islandaise, loin d’être effacé aujourd’hui, s’est augmenté de traditions et de légendes. — Hrafna-Floki, c’est-à-dire Floki-aux-Corbeaux, est le troisième Norvégien qui visita l’île, et dont le Landnama raconte que, n’ayant ni boussole ni compas, il se servit, pour diriger sa navigation et trouver la terre, du vol des corbeaux qu’il avait dressés par des moyens magiques. La légende en fait aujourd’hui un immense géant dont une seule enjambée franchit un fiord large d’une lieue ; deux localités qui portent son nom attestent ce fameux pas de Floki. — Ingolf Arnarson est le premier qui établit sa demeure en Islande ; un énorme rocher porte aujourd’hui son nom, et sur ce rocher, situé au point même où l’on rapporte qu’il aborda jadis, on voit un tertre en pierres et en gravier sous lequel le premier landnamer s’est fait ensevelir ; il a choisi ce haut lieu pour surveiller de là perpétuellement l’île qu’il a jadis peuplée. Tous les principaux héros du Landnama et des sagas ont de la sorte encore aujourd’hui leur histoire.

Il était juste que Saemund le Sage eût une large place dans les souvenirs populaires de la postérité islandaise. Né en 1056 et mort en 1133, Saemund fut un des plus savans hommes du moyen âge Scandinave, et c’est à lui qu’on attribue le recueil de l’Ancienne Edda et la belle saga de Nial. Il avait étudié à l’université de Paris. Aussi le renom de magicien lui fut-il acquis de son vivant. La saga de l’évêque Jean, écrite au commencement du XIIIe siècle, suivant M. Maurer, raconte que Saemund s’était mis dans l’école d’un maître célèbre, y avait appris toutes les sciences, puis avait tout oublié, jusqu’à son propre nom. L’évêque, qui voulait le sauver, le détermina à fuir, à quitter les pays du midi et à revenir en Islande. Ils choisirent pour réaliser leur projet une nuit obscure, pendant laquelle ils marchèrent