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prudemment caché pendant une vingtaine de minutes. Il se glissa hors de sa retraite, pâle et tremblant, les mains déchirées par les ronces et le visage souillé par le contact des mousses visqueuses qui tapissent l’intérieur des arbres creux à moitié pourris. Avec son nez long et recourbé, ses yeux ronds et son cou rentré dans les épaules, il ressemblait assez bien au chat-huant qui s’élance à l’arrivée du crépuscule hors des touffes de lierre sous lesquelles il a dormi pendant le jour. Un quart de lieue à peine le séparait de son village des Brandes, qu’il essayait de regagner à pas furtifs. Pareil au renard attardé qui cherche son terrier au matin, Jagut courait le long des haies, courbé, se faisant plus petit encore qu’il n’était ; mais l’œil exercé des réfractaires qui remontaient vers les hauteurs, »attirés par le bruit d’un coup de feu, le dépista malgré toutes ses précautions au moment où il débouchait dans un champ de genêt.

Le bossu, les apercevant à son tour, leur fit signe des deux mains. — N’avancez pas, ils sont là-haut !…

— Qui a tiré ?

— Le Grand-Noir ; il en a touché un !…

— Avançons !… dirent les réfractaires, entraînés par quelques hommes d’un âge plus mûr, et qui avaient fait partie des bandes aux cent-jours.

À ce moment-là, les voltigeurs traversaient, pour atteindre la route, le grand champ que labourait Jacques Aubin de La Tremblaye. Bien qu’encore ils fussent hors de portée, les paysans leur envoyèrent quelques balles, comme pour s’échauffer au combat, et les soldats, remontant sur le coteau, s’adossèrent au grand chêne sous lequel ils venaient de faire halte. Là, serrés les uns contre les autres, ils armèrent leurs fusils et attendirent que l’ennemi se montrât de plus près. Devant cette petite troupe aguerrie et disciplinée, les jeunes paysans hésitaient à prendre l’offensive. Aucun sentiment de haine ou de vengeance ne les animait d’ailleurs contre ces braves militaires, qui faisaient honnêtement leur devoir sans fouler les populations en aucune manière. Leur but était de se montrer sur divers points, de paraître nombreux et d’effrayer ceux qui ne partageaient pas leur opinion. Ils avaient tous besoin aussi de s’encourager eux-mêmes, de se donner assez de confiance dans l’avenir pour attendre sans faiblir la grande insurrection si souvent annoncée, qui devait transformer en une armée compacte ces petites bandes isolées et peu redoutables. De leur côté, les voltigeurs, qui croyaient avoir affaire à des brigands, à des hommes désespérés et capables de tout, se préparaient à vendre chèrement leur vie. Ennuyés de cette fusillade qui ne les atteignait pas, — à peine quelques balles coupaient les branches au-dessus de leurs têtes, — ils se précipitèrent en avant, et les réfractaires, dispersés en guérillas derrière les arbres,