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ayant eu avec Spinola une conversation de la plus haute importance, où il avait arraché au chef espagnol son dernier mot, il crut de son devoir d’en instruire sur-le-champ Richelieu, et se rendit à Saint-Jean-de-Maurienne. Il y arriva le 2 août. Le roi, malade, venait de partir pour Lyon. Tout semblait tourner contre Richelieu. La maladie de Louis XIII lui donnait de vives inquiétudes ; s’il périssait, c’en était fait du cardinal ; le péril n’était guère moindre s’il cédait aux conseils de sa mère. Au-delà des Alpes, l’armée, ravagée par la peste, était hors d’état de secourir Casal. Cette perte imminente, ajoutée à celle de Mantoue, était le coup mortel porté à ses desseins, sa propre ruine et le triomphe de ses ennemis. Il était donc naturel que dans son mécontentement il s’en prît aux perpétuelles et impuissantes négociations de la légation pontificale, qui, en intervenant sans cesse pour arrêter l’élan de la France, semblait avoir augmenté toutes les difficultés et amené une situation presque désespérée. On dit qu’il reçut très mal l’envoyé du saint-siège, et qu’il y eut à Saint-Jean-de-Maurienne une scène à la Shakespeare, dans laquelle Richelieu s’abandonna à toute l’impétuosité de son caractère, et où Mazarin sut lui tenir tête avec un mélange de respect et de fermeté qui imposa au premier ministre du roi de France, et le ramena aux conseils d’une sage politique. Bornons-nous à servir d’interprète à un historien ordinairement très bien informé[1].

« Introduit par le cardinal de Bagni auprès du cardinal de Richelieu, Mazarin avait donné d’abord toutes les mauvaises nouvelles du jour sans dire un mot de la paix. Le ministre français conçut le soupçon que le secrétaire de la légation pontificale, trahissant les intentions et les ordres du saint-père, s’était entendu avec les Espagnols pour faire tomber Casal entre leurs mains, car déjà il croyait Casal perdue, et, outré de colère, il se laissa emporter à dire que les funestes négociations de Mazarin avaient ruiné la réputation du roi de France et l’indépendance de l’Italie, livré les alliés de la couronne à leurs ennemis, déshonoré ses conseils et sa conduite comme auteur et chef de toute l’entreprise, et mis sa fortune à bas. Il éclata en menaces terribles contre un homme qui lui semblait coupable d’intelligence avec l’Espagne, et, se tournant vers le cardinal de Bagni, il lui demanda si le pape persévérait dans ses premiers engagemens envers la France. Le cardinal de Bagni l’assura que les intentions du saint-père étaient les mêmes ; puis il ajouta quelques mots en faveur de Mazarin, défendant sa sincérité à la fois et sa pénétration, le disant aussi incapable d’être la dupe

  1. Benedetti, p. 27, se trompe en mettant la scène à Paris, et il a entraîné Priorato dans cette erreur évidente ; mais il indique la scène en l’abrégeant. Le récit de Brusoni est bien autrement étendu et détaillé ; nous le traduisons presque en entier. — Brusoni, p. 159-161.