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joux ; il sera pour moi un souvenir vivant qui ne nie quittera jamais.

— Prenez ce bracelet, répondit Pauline ; un de mes grands-oncles me le rapporta des Indes il y a bien longtemps ; jeune fille, je le portais ; c’est le seul de mes bijoux auquel je tienne ; gardez-le, qu’il vous protège et vous parle de moi !

George prit le bracelet ; il était composé de trois grosses lames d’or reliées entre elles par un chaînon ; sur chacune des lamelles, des mots arabes étaient écrits ; George les lut, et se tournant vers Pauline avec un sourire plus triste que des sanglots : — Savez-vous, lui demanda-t-il, ce que signifie la phrase gravée sur ce bracelet ?

— Oui, répondit-elle.

Lek el mestékabel bil felahha, inch’Allah ! épela-t-il lentement ; avec le succès, l’avenir est à toi, s’il plaît à Dieu ! — Ah ! je crains bien qu’il ne lui plaise pas ! Savez-vous, Pauline, qu’il y a là presque une promesse, et que si j’étais un sage, je ne partirais pas ?

Pauline sentit le danger ; l’heure était trop propice aux faiblesses pour qu’elle ne cherchât point un faux-fuyant ; elle se jeta dans des phrases vagues.

— Mais l’avenir n’est-il pas à vous ?…

— Ce n’est pas de cet avenir que je parle, interrompit George avec vivacité ; vous ne m’avez pas compris !… Et il rejeta le bracelet sur la table.

C’est parce que Pauline l’avait trop bien compris qu’elle faisait semblant de le si mal comprendre.

Il marcha vers elle, la prit dans ses bras, l’appuya sur son cœur, l’embrassa longuement comme on embrasse une sœur qu’on craint de ne jamais revoir, et se sauva sans oser retourner la tête.

Le soir il partait. Ayant déjà dit adieu à Mme d’Alfarey, il jetait autour de lui dans son appartement ce regard mélancolique et amer que seuls peuvent connaître ceux qui, le cœur brisé, sont partis pour de longs voyages, lorsqu’un domestique de Pauline entra et lui remit une petite boîte : elle ne contenait que le bracelet.

— Ah ! se dit-il, est-ce donc un remords ? Si je n’avais mis notre bonheur au-dessus des choses de la terre, je comprendrais à demimot, et si je restais, je n’aurais pas grand’peine à me faire pardonner.

Il n’avait pu trouver de place aux malles-poste, et il partait modestement par les diligences, seul et sans domestique. Dans la cour des messageries, il aperçut M. de Chavry.

— J’ai voulu vous serrer la main avant votre départ et vous apporter le vœu de l’étrier, dit-il à George ; si jamais vous avez besoin d’un ami, monsieur d’Alfarey, n’oubliez jamais, je vous prie, que je suis le vôtre.