Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/433

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

productions de la Sierra-Nevada, de la Sierra-Negra, du fertile bassin de Valle-Dupar, de la péninsule goajire, ne peuvent s’exporter que par Rio-Hacha ; tôt ou tard les denrées du Haut-Magdalena et de la lagune de Maracaïbo, centuplées par l’agriculture, prendront en grande partie la même voie. Plusieurs riches commerçans juifs de l’île hollandaise de Curaçao ont, avec le flair de leur nation, deviné l’importance future de Rio-Hacha et y ont établi des succursales ; déjà la plus grande part du commerce de la province est entre leurs mains. Pendant les dix dernières années, le total des échanges a toujours été en grandissant, et aujourd’hui le mouvement des navires s’élève à plus de 30,000 tonneaux par an. Les armateurs rio-hachères possèdent à eux seuls près d’une vingtaine de bricks et de goélettes : c’est à peu près les deux tiers de toute la marine commerciale de la Nouvelle-Grenade. Malheureusement Rio-Hacha n’a pas de port, mais seulement une rade foraine où les trois-mâts ne peuvent ancrer qu’à un ou deux milles de la côte. Ce désavantage, joint au peu d’importance des marées, qui ne s’élèvent guère qu’à 50 centimètres de hauteur, empêche les bateaux à vapeur de visiter fréquemment les eaux de Rio-Hacha ; quand un de ces navires fait son apparition, la nouvelle s’en répand immédiatement dans tous les villages de la province, et des centaines de curieux se promènent constamment sur la jetée pour voir de loin l’étrange navire.

Excepté dans ces derniers temps, où la rivalité de Sainte-Marthe et de Rio-Hacha a produit quelques troubles regrettables, le gouvernement et l’administration de cette dernière ville ont toujours fonctionné sans obstacles sérieux. Comme dans toutes les autres cités grenadines, on jouit dans celle-ci d’une telle liberté que l’étranger paisible peut rester pendant des années dans le pays sans que rien lui rappelle le pouvoir : il n’y a ni soldats, ni agens de police, ni douaniers en uniforme, ni collecteurs d’impôts, ni employés se distinguant du reste des citoyens par quelque signe extérieur. Les dépenses de la cité sont défrayées uniquement par les droits de tonnage et de phare prélevés sur les navires de commerce. Tous les habitans de la ville sont de fait investis des fonctions de magistrat, et, comme tels, font exécuter la loi ; c’est à leur honneur que sont confiés la sécurité et l’ordre publics. Il en résulte que l’administration locale ne peut avoir de force réelle que par le concours de tous les citoyens, et si la commune n’entrait pas quelquefois en conflit avec les gouvernemens de Sainte-Marthe et de Bogota, dont les décisions, prises sans une parfaite connaissance de cause, ont plus d’une fois lésé les intérêts locaux, toute révolution, tout cahot politique, deviendraient impossibles.

Rio-Hacha, à l’exemple de toutes les autres communes de la Nouvelle-Grenade,