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de l’effervescence révolutionnaire que les événemens de l’année dernière devaient inévitablement allumer parmi eux. Des esprits ardens leur conseilleront sans doute de profiter de cette effervescence, qui n’a, les Italiens ne doivent pas l’ignorer, que l’apparence de la force, et qui n’est qu’une surexcitation débilitante. Là sera leur danger : on les excitera peut-être à des tentatives sur les états du pape et sur Naples qui ne seraient excusables que si l’Italie avait à subir une attaque étrangère. Malgré ces difficultés et ces périls, l’œuvre qui s’ouvre aux chefs du libéralisme italien a de glorieuses perspectives, celles qui sont le plus propres à tenter de nobles intelligences et de mâles caractères. C’est la plus belle crise où le génie puisse rêver de se déployer que celle de la renaissance d’un peuple à l’indépendance et à la liberté. Nous comprenons qu’en embrassant d’un vaste regard tous les écueils qu’il y faut affronter, l’âme s’émeuve, mais non qu’elle se décourage. On prétend que le roi Victor-Emmanuel, au milieu des tiraillemens et des résolutions décisives de ces derniers jours, n’a pu se soustraire à un accès de mélancolie qu’il est allé cacher à la Mandria. Les causes ne manquaient pas sans doute à cette royale tristesse : le conflit avec le pape pour la Romagne, l’ennui de ne pouvoir satisfaire aux demandes de la France, le sentiment d’être lancé dans un mouvement plus puissant que la force humaine, le chagrin de perdre sa province la plus dévouée, la plus fidèle, celle qui a été l’artisan de la grandeur de sa maison, et qui en était fière à si bon droit. Les doutes et les regrets sont permis à un prince de la maison de Savoie en de telles circonstances ; mais Victor-Emmanuel est le soldat heureux de la cause pour laquelle est mort Charles-Albert. L’infortune de son père lui a tracé sa route, et il ne manquera pas à sa mission.

L’Angleterre est en apparence le pays le plus embarrassé par les dernières péripéties de la question italienne. On est trop enclin, suivant nous, en France à exagérer ces difficultés, que le gouvernement parlementaire a au moins le mérite de ne pas dissimuler. Cette réserve faite, nous avouerons que les rapports de la France avec l’Angleterre depuis deux mois et demi ont fourni un épisode très singulier à la masse des complications qui ont troublé l’opinion publique. En même temps qu’il négociait le traité de commerce, lord John Russell dressait ces quatre fameuses propositions qui ont rendu la liberté à la politique française, et maugréait à l’oreille de lord Cowley contre l’annexion de la Savoie. Lord John, comme free trader, avait bien plus à cœur le succès du traité de commerce, et, comme partisan de l’Italie, le triomphe de ses quatre propositions, qu’il ne redoutait ou déplorait l’annexion de la Savoie à la France. S’il eût en effet été un adversaire aussi ferme de l’annexion de la Savoie qu’on le dirait à la lecture de ses dépêches ou de certains passages de ses discours, lord John Russell eût mêlé ensemble ces trois affaires, et il nous eût dit : Annexion de la Savoie, pas de traité de commerce ; annexion de la Savoie, pas d’alliance virtuelle : je ne lâche pas mes quatre propositions. Lord John a été mieux avisé : il a mieux aimé gagner deux et perdre un que de ne rien faire, gagner sur