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de son frère, et conseille à Laura de fuir les dangers, qui les menacent tous deux. Le troisième acte transporte la scène dans une maison de pêcheurs au bord de l’Arno, où Laura vient se réfugier sous la garde, d’un ami de Julien ; mais le duc de Florence, guidé par les conseils de l’inquisiteur Antonio, retrouve les traces de la pauvre Laura, qui retombé dans les mains de son persécuteur. Elle résiste pourtant aux injonctions de Pierre de Médicis, refuse sa main et sa couronne, et avoue hautement qu’elle n’aimera jamais que Julien. Furieux de cette résistance, qui trompe ses calculs ambitieux, l’inquisiteur Antonio s’empare de sa nièce et l’entraîne dans un couvent, où il la force à prendre le voile. Lorsque Pierre de Médicis, blessé mortellement dans une insurrection populaire, arrive appuyé sur les bras de son frère Julien, avec lequel il s’est réconcilié, et réclame Laura Salviati pour la rendre à celui qu’elle aime : « Il n’est plus temps, répond le grand-inquisiteur, elle appartient au ciel ! »

Ce drame fort innocent, tout rempli d’élans religieux et d’extases amoureuses, ne reflète de l’histoire de Florence : et de l’époque horrible où se passe la scène que les couleurs les plus tendres et les plus égayantes. On ne dirait pas, en voyant ces fêtes magnifiques, ces beaux décors, ces divertissemens mythologiques et ce bon Pierre de Médicis repentant et soumis aux ordres du ciel, qu’on est au siècle des Borgia, au milieu de mœurs où l’inceste, l’assassinat et l’empoisonnement n’étaient que des peccadilles tolérées par le chef de l’église. MM. Saint-Georges et Émilien Pacini ont voulu sans doute que tout fût pour le mieux dans le meilleur des théâtres possibles, et que rien, dans la fable qu’ils ont conçue, ne vînt attrister un public qui a des affaires, des soucis, et qui veut qu’on l’amuse sans exiger de lui trop de contention d’esprit ni d’émotion, car, sans l’idée que nous supposons ici à MM. Saint-Georges et Émilien Pacini, il serait difficile d’admettre le dénoûment pacifique qu’ils ont donné à une pièce qui pourrait être mieux écrite et plus conforme à l’esprit de l’histoire.

La musique de ce scénario est l’œuvre de M. le prince Joseph Poniatowski, un homme du monde, un dilettante distingué qui, au milieu de la vie politique qu’il mène dans la nouvelle patrie qu’il s’est choisie, a su conserver un goût vif pour les arts qui ont fait le charme de sa jeunesse, passée tout entière dans cette ville de Florence dont il vient de chanter les discordes civiles. M. le prince Poniatowski a déjà beaucoup écrit, et le Théâtre-Italien de Paris nous a fait entendre, il y a deux ans, un opéra-bouffe de sa composition, Don Desiderio, dont nous avons apprécié l’agréable badinage. Nous pourrions nous récuser ici et traiter M. Je prince Poniatowski comme un personnage officiel, appartenant à l’un des grands corps de l’état dont les amusemens n’incombent pas à la critique de l’art. Nous serons plus juste, et nous jugerons l’œuvre que le prince Poniatowski vient de produire devant le public comme si elle était signée du nom d’un compositeur ordinaire. Nous sommes certain que M. le prince Poniatowski désapprouverait un respect qui le priverait du droit commun d’entendre la vérité sur le fruit récent de ses loisirs.

Et d’abord, nous passerons vite sur l’ouverture, qui n’annonce pas que M. le prince Poniatowski ait une grande habitude d’écrire de la musique instrumentale pure, et nous signalerons le sextuor ou morceau concertato,