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de pareilles fadaises. L’air de Baucis : O riante nature ! est charmant dans la première phrase, qui est une mélodie délicate ; mais la suite du morceau ne contient guère que de jolis détails de vocalisation habilement appropriés à l’organe et au talent de Mme Carvalho. Telles sont aussi les qualités du duo entre Jupiter et Baucis, duo agréable qui manque d’ampleur et de passion. C’est le défaut qu’on peut reprocher à tout l’opéra de Philémon et Baucis.

C’est donc par les détails, par des harmonies ingénieuses et la distinction cherchée de certains accompagnemens que se recommande la nouvelle production de M. Gounod. Or les détails de la forme, les ciselures de l’instrumentation, les mièvreries du style ne suffisent point pour faire vivre une composition dramatique où la passion, les idées franches et la variété des couleurs ne brillent que par leur absence. Aussi ne croyons-nous pas au succès durable de Philémon et Baucis, et ce mécompte ne doit pas être attribué entièrement aux auteurs du libretto. Réduite en deux actes tout au plus, la fable de Philémon et Baucis, traitée par un musicien aussi réellement distingué que M. Gounod, aurait pu devenir un petit chef-d’œuvre d’élégance, une bucolique remplie du parfum et de la douce rêverie de la poésie antique. L’exécution de Philémon et Baucis est convenable au Théâtre-Lyrique. M. Fromant chante et joue avec goût le rôle de Philémon, M. Battaille tire un assez bon parti du personnage ingrat de Jupiter. Quant à Mme Carvalho, elle est dans le rôle de Baucis ce qu’elle est partout, une cantatrice habile, qui a le tort d’assumer sur elle un trop lourd fardeau.

L’Opéra a donné récemment, le 9 mars, le grand ouvrage chorégraphique et musical que chaque année il enfante avec tant d’efforts. Pierre de Médicis, opéra en quatre actes et sept tableaux, ainsi que l’indique le libretto de MM. Saint-Georges et Émilien Pacini, a été représenté devant la cour et la ville, comme on disait autrefois, avec un succès qui ne saurait être contesté que par les gens de mauvaise humeur. La fable, empruntée à l’histoire de Florence, raconte un épisode tragique de la maison des Médicis, ces Atrides de l’Italie au temps de la renaissance. Pierre de Médicis, fils de Laurent le Magnifique, devint souverain des états de Florence et de Pisé à la mort de son père, en 1492. Ses mœurs dissolues, ses cruautés et sa faiblesse vis-à-vis du roi de France Charles VIII soulevèrent contre lui l’indignation du peuple. Une conjuration se forma : Pierre de Médicis fut chassé de ses états, et son frère Julien fut appelé à lui succéder. Pierre mourut misérablement dans l’exil, après de vaines tentatives pour remonter sur le trône qu’il avait perdu. Les auteurs du poème n’ont conservé de cette donnée historique que le nom des deux princes, et voici la fable qu’ils ont imaginée : Pierre de Médicis, souverain de Florence, est fortement épris de Laura Salviati, nièce de fra Antonio, grand-inquisiteur. Pierre demande la main de Laura à fra Antonio, dont l’ambition s’accommode fort de cette haute alliance ; mais Laura Salviati a depuis longtemps promis son amour au frère du prince, Julien, qui n’est point disposé à céder un bien qui lui est plus précieux que la vie. De là la haine des deux frères et le nœud de la situation. Averti par l’inquisiteur lui-même de la passion de son frère Julien pour Laura Salviati, Pierre de Médicis veut écarter un rival aussi redoutable, et lui donne un commandement qui l’éloigne de Florence. Julien résiste cependant aux ordres