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de guerre. À ces bâtimens, presque tous commandés par des Américains, un seul port, Puerto-Cabello, joignit, en 1824, vingt-deux corsaires. Les forbans, qui avaient arboré le pavillon espagnol, trouvèrent dès lors plus avantageux de s’abriter sous le pavillon des indépendans, et la mer des Antilles ne vit plus que des corsaires ou des bâtimens de guerre colombiens. Deux des bâtimens légers de la station furent gravement insultés par cette marine naissante. L’un fit la rencontre d’une corvette de trente-deux bouches à feu qui le contraignit à envoyer un officier à son bord ; l’autre, sommé de s’arrêter, ne voulut point souffrir une injurieuse visite, et réduisit avec fermeté les prétentions de son adversaire à une visite réciproque, qui sauvegardait du moins l’honneur du pavillon.

D’excessifs ménagemens nous étaient commandés vis-à-vis des états de la Côte-Ferme. La cause de l’indépendance venait de triompher définitivement à Junin et à Ayacucho, et le libérateur paraissait désormais le seul arbitre des destinées de l’Amérique espagnole. La mesure de nos griefs cependant était comble. « Les déprédations exercées contre notre commerce, écrivais-je alors au ministre de la marine, et plus particulièrement les actes qui peuvent porter atteinte à l’honneur du pavillon français, doivent être repoussés avec vigueur. Je doute que les moyens de prudence et de conciliation employés jusqu’à ce jour puissent nous conduire à un résultat honorable. Nous ne pouvons sans faiblesse attendre dans une attitude impassible la décision du gouvernement colombien, qui s’obstine à invoquer une loi dictée par l’intérêt exclusif de la république, en opposition avec tous les droits des autres nations. » Je proposais donc au gouvernement français de m’emparer de tous les ports de la Côte-Ferme, complètement dégarnis à cette époque de troupes et d’approvisionnemens, La Guayra, Rio-Hacha, Sainte-Marthe, Carthagène, Puerto-Cabello. Le débarquement d’un millier de soldats empruntés à la garnison des Antilles eût assuré le succès de cette entreprise, car il n’y avait pas alors un des ports de la Colombie qui pût résister à huit jours d’un double blocus maintenu par terre et par mer. Les difficultés n’eussent commencé que le jour où l’on eût voulu se maintenir dans les positions conquises ; mais ce n’était point d’une occupation prolongée qu’il s’agissait. Je n’avais en vue que de mettre un terme aux réponses évasives que je prévoyais et de me saisir d’un gage qui assurât la prompte réparation des torts qu’on s’était donnés envers nous. Des raisons politiques dont je ne pouvais peut-être apprécier toute la portée ne permirent pas au gouvernement français d’agréer mes propositions. On craignit sans doute de réveiller les ombrages de l’Angleterre, qui nous soupçonnait de vouloir compléter notre œuvre de restauration en