Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/590

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous concernait, opéré à peu près sans secousse ; Paris malheureusement n’était pas tranquille, et la terre commença bientôt à trembler sous nos pas. Plusieurs mois se passèrent dans de perpétuelles alertes. Nous n’avions plus de troupes pour faire la police de la cité. Un commissaire extraordinaire envoyé par le gouvernement provisoire avait, de son autorité souveraine, éloigné de notre ville le régiment qui jusqu’alors y avait tenu garnison. On comprit enfin la nécessité de ne pas laisser trop longtemps un des plus importans dépôts de la richesse nationale à la merci de quelques factieux. Un régiment nous fut envoyé d’une des villes voisines, et la tranquillité devint dès lors facile à maintenir. Les nouvelles qui arrivaient de Paris n’encourageaient plus d’ailleurs que les honnêtes gens. La révolution s’était creusé son lit, et le flot populaire coulait entre des digues qu’on pouvait croire assez fortes pour le contenir. À peine une nouvelle période de calme commençait-elle pour notre pays, qu’on voulut bien s’apercevoir à Paris que je venais de traverser, non sans bonheur, une situation des plus difficiles. Je fus promu au grade de vice-amiral. Peu de temps après, je me vis à mon grand étonnement, et, je dois le dire, à ma vive satisfaction, élevé à la pairie. Le prestige de cette haute dignité était fort effacé déjà ; il ne l’était pas à mes yeux : uniquement frappé de la distinction qui était venue me chercher dans mon obscurité, je me trouvai grandement récompensé de toute une vie dévouée au service de l’état.

C’est à peine si l’on m’accorda quelques instans de répit. Une nouvelle préfecture me fut assignée. J’y rencontrai les mêmes devoirs, mais une sphère plus vaste que dans mon premier poste. J’eus des expéditions importantes à préparer, des perfectionnemens de tout genre à faire aboutir. Notre ambition augmentait avec nos ressources. La France semblait avoir pris sérieusement à cœur la renaissance de sa marine. Il y eut une année où elle arma jusqu’à vingt et un vaisseaux. Je n’épargnai ni mon temps ni mes peines pour seconder de mon mieux cet élan. J’avais vu de grands armemens sous un autre règne, et je connaissais les véritables besoins de la guerre maritime ; mais pendant que mon expérience hésitait encore à sacrifier les dernières traditions du passé, des officiers plus jeunes et plus hardis poussaient avec ardeur notre matériel naval et nos institutions dans ce qu’ils croyaient sincèrement la voie du progrès. C’était une autre génération à laquelle il fallait que nous fissions place. Telle est la loi inévitable des choses humaines. Nous étions encore quelques vétérans des guerres de l’empire. Un murmure respectueux, plus impatient néanmoins chaque jour, semblait à tout propos vouloir nous rappeler que notre temps était fini. La mort était lente à frapper des gens endurcis par les épreuves d’une