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et au temps de Vasari ce manuscrit appartenait à Francesco Melzi, l’ami de Léonard. Enfin Vasari cite encore un Traité d’Anatomie du cheval, que Léonard avait composé pendant qu’il travaillait à la statue équestre de François Sforza, et qui fut détruit lors de l’arrivée des Français en même temps que ce grand monument.

Le Traité de la Peinture se refuse à toute analyse ; il ne contient pas moins de trois cent soixante-cinq chapitres, écrits avec une brièveté, une sécheresse qui en rendent la lecture difficile. Ce n’est en quelque sorte que la table des matières d’une encyclopédie des arts du dessin ; mais en le relisant j’ai été surpris, non point de l’étendue d’esprit, de la sûreté de jugement, de la variété de connaissances qu’il dénote chez Léonard, mais de l’utilité dont pouvait être pour l’enseignement un pareil texte développé par une parole facile et sympathique, et je me suis mieux expliqué l’excellence de l’école que Léonard a fondée. Sa doctrine est un naturalisme absolu, mais intelligent et élevé, qui n’a rien de commun avec le réalisme. Il en expose les traits principaux, il l’explique dans ses détails les plus techniques et en apparence les plus humbles. Il recommande à chaque page l’imitation précise et minutieuse de la nature, mais de la nature vivante, de la forme révélant dans ses modifications les affections et les sentimens de l’esprit qui l’anime. Il circonscrit nettement le champ de la peinture, qui est destinée avant tout à reproduire le relief des corps. « La première intention du peintre, dit-il, est de faire que sur la superficie plane de son tableau paraisse un corps relevé et détaché du fond, et celui qui en ce point surpasse les autres mérite d’être estimé le plus grand maître de la profession. Or cette recherche ou plutôt cette perfection et couronnement de l’art provient de la dispensation juste et naturelle des ombres et des lumières, ce qu’on appelle le clair-obscur, de sorte que si un peintre épargne les ombres où elles sont nécessaires, il se déshonore et rend son ouvrage méprisable aux bons esprits pour s’acquérir une fausse estime parmi le vulgaire et les ignorans, qui ne considèrent en un tableau que le brillant et le fard du coloris, sans prendre garde au relief. »

Léonard ne dédaigne pas de donner à ses élèves les directions les plus pratiques et les plus intimes : « J’ai encore expérimenté que ce n’est pas une chose de peu d’importance, étant au lit dans l’obscurité, d’aller repassant en son imagination tous les contours des figures qu’on a déjà étudiées et dessinées, ou d’autres choses notables et d’une subtile spéculation, car par ce moyen on fortifie et on conserve davantage les idées des choses qu’on a recueillies en sa mémoire. » Il ne leur ménage pas non plus les conseils sévères : « Il n’y a rien de plus sujet à se tromper qu’un homme qui juge son