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à Léonard de Vinci sont excessivement rares. Chef d’une école habile et fervente, ses élèves ont souvent travaillé d’après ses dessins ou ses cartons, et il est quelquefois si difficile de distinguer leurs ouvrages des siens, que les connaisseurs les plus compétens s’y sont trompés. Je ne veux entrer dans aucune discussion d’authenticité. Les quelques ouvrages qui sont indubitablement de la main de Léonard, et que nous possédons, suffisent pour caractériser sa manière. Il faut certainement retrancher de son œuvre des tableaux d’une grande beauté et très importans, tels que la Vierge au bas-relief de lord Monsohn, la Modestie et la Vanité du palais Sciarra, le Christ disputant avec les docteurs de la galerie nationale de Londres, les trois Hérodiade de Vienne, celle de Paris, ainsi que celles de la Tribune de Florence et de la galerie d’Hampton-Court, qu’un dessin élégant, mais sans largeur, un modelé sans force, un coloris clair, transparent, léger et brillant, font attribuer sans hésitation à Bernardino Luini. Il faut rendre à Salai, à Beltraffio ou à d’autres les Léda, peut-être même la belle Vierge de Pétersbourg, et cette adorable figure de jeune femme, le sein gauche découvert, une fleur à la main, les cheveux noués à la grecque, qui était connue sous le nom de la Collombina dans la galerie d’Orléans, qui passa ensuite dans celle du roi de Hollande, et qui orne aujourd’hui la collection déjà si riche du palais de l’Ermitage. On pourrait prolonger cette liste et contester presque tous les tableaux qui ont été attribués à Léonard. En fait d’authenticité, je ne suis point parmi les crédules, mais je trouve cependant M. Kugler trop sévère lorsqu’il paraît penser que les seuls tableaux dont l’invention et l’exécution soient de Léonard se réduisent à trois de ceux qui se trouvent au Louvre : à la Joconde, au Saint Jean-Baptiste et au portrait de Lucrezia Crivelli. Pour ne parler que de Paris, je crois impossible que l’on conteste sérieusement la Vierge et sainte Anne, ni même le Bacchus. J’ai dit ce que je pensais de la Vierge aux Rochers. Ce seraient six tableaux qui font bien, j’en dois convenir, la grande moitié des ouvrages de chevalet parfaitement authentiques de Léonard.

Il n’est pas moins difficile de fixer la chronologie des tableaux de chevalet de Léonard que d’en établir l’authenticité. Le portrait de Lucrezia Grivelli au Louvre, ceux de Louis le More et de Béatrix à l’Ambroisienne, peut-être la belle Vierge allaitant le Christ du palais Litta, dans laquelle on croit reconnaître l’influence de Jean Van-Eyck[1]), sont les seuls qu’on puisse rapporter avec quelque certitude à son séjour à Milan. Le dessin de ces ouvrages est élégant, d’une justesse extrême ; mais la peinture garde encore un peu de

  1. La Vierge de la casa San-Vitale à Parme, signée et datée, est reconnue aujourd’hui comme l’œuvre de Cima de Conegliano, — Elle est maintenant au musée de Parme.